Septentrion. Jaargang 10
(1981)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Les études néerlandaises en FranceEn 1955, Pierre Brachin publia dans le Vlaamse Gids un article sur l'intérêt porté à la langue néerlandaise en France. Il remarquait pour commencer que le Français moyen faisait preuve d'une ignorance parfois incroyable de la littérature néerlandaise - sans parler de la langue! - Il donnait quelques exemples et se consolait en constatant que dans d'autres pays la situation n'était guère meilleure. S'interrogeant sur cette méconnaissance, l'auteur avançait l'idée que, comparés aux pays scandinaves dont la littérature était plus connue en France, les pays néerlandophones n'avaient guère produit, au 19ème siècle, d'oeuvres littéraires dignes d'une résonnance internationale et que, lors du renouveau littéraire des années 1880, les auteurs les plus importants avaient préféré la poésie lyrique, ‘l'expression la plus individuelle de l'émotion la plus individuelle’ selon leur propre devise, genre difficilement traduisible et par conséquent à peine accessible, même pour ceux qui s'intéressaient à la vie culturelle des pays néerlandophones. La langue était peu connue, on ne savait donc pas ce qui s'écrivait, on ne traduisait presque rien et la littérature restait ignorée. C'était un cercle vicieux. Récemment encore, on incriminait surtout l'absence de traductions de haut niveau pour expliquer la stagnation de la diffusion de la littérature néerlandaise à l'étrangerGa naar eind(1.). En 1955, Pierre Brachin voyait cependant des signes annonciateurs d'une amélioration, surtout dans les milieux universitaires. Depuis 1948, il existait des lectorats de néerlandais, occupés par des Néerlandais, à Paris et à Strasbourg. A Lille, le néerlandais était enseigné par un lecteur belge. A Paris et Strasbourg, il était déjà officiellement admis comme discipline complémentaire dans le cadre des Licences d'allemand et d'anglais. Cette reconnaissance était possible parce qu'un professeur ou maître de conférences y complétait déjà par trois heures de cours de niveau magistral l'enseignement de base donné par le lecteur. A Paris le professeur Brachin avait déjà pris la direction des études néerlandaises tandis qu'à Strasbourg les professeurs Dangens et Fourquet patronnaient la discipline. A Lille, fait étonnant, le néerlandais n'était enseigné que par un seul lecteur: Walter Thys, déjà. Le nombre d'étudiants était partout limité. Au début des années 1960, on réussit à consolider la place du néerlandais dans les Universités de Lille et de Strasbourg par la création de postes de ‘maître de conférences associé’. Notre collègue Walter Thys fut nommé à Lille et l'auteur de ces lignes à Strasbourg. Trois universités avaient désormais un professeur ou maître de conférences assisté par un lecteur. Tous les étudiants pouvaient inclure la langue néerlandaise dans leur programme de propédeutique; en deuxième année, les étudiants d'allemand et d'anglais pouvaient préparer un certificat de néerlandais. A partir de 1967, l'évolution prit un rythme accéléré. Il y eut d'abord la réforme des études qui introduisait le DUEL (Diplôme Universitaire d'Etudes Littéraires) en deux ans et la Licence en un an qui le suivait. On pouvait désormais répartir les études néerlandaises sur trois ans: deux années dans le cadre du DUEL au lieu d'une année propédeutique, plus une année pour la préparation du certificat complétant une Licence d'allemand ou d'anglais. 1968 fut l'année du grand chambardement dans les universités, l'année pendant laquelle, après ‘les événements de mai’, Edgar Faure fit adopter la ‘Loi d'Orientation’ sur l'Enseignement Supérieur. Aujourd'hui on dit souvent qu'il ne reste | |
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Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg.
que très peu de choses de l'autonomie des universités, de la démocratisation et des nouvelles relations à l'intérieur de l'Université. Ce n'est pas le lieu ici d'en juger. A la néerlandistique cependant, cette loi apportait des avantages considérables. Les anciennes Facultés, souvent engorgées par l'arrivée en masse des étudiants, éclataient en un grand nombre d'universités de taille plus humaine, subdivisées en Unités d'Enseignement et de Recherche. Ces U.E.R. allaient organiser les enseignements plus librement que les anciennes Facultés. Beaucoup de villes moyennes furent en outre dotées de nouvelles universités. Là où une section d'allemand ou d'anglais avait une certaine importance, on désirait souvent la création d'un enseignement complémentaire de néerlandais. La ‘pluridisciplinarité’ dans les études devait être le remède miracle contre tous les maux de l'ancienne Université. Partout il était nécessaire de créer de nouveaux postes d'enseignement. Il était ainsi parfois assez facile d'obtenir la création d'un nouveau lectorat de néerlandais. Les étudiants avaient besoin de disciplines complémentaires et l'admission d'une nouvelle langue par la création d'un lectorat était une méthode facile et en même temps peu coûteuse pour satisfaire à ces besoins. Ainsi on vit croître rapidement le nombre d'universités comportant une section de néerlandais. Des cours de néerlandais furent institués à Nanterre, Paris-Asnières, Créteil, Paris III (Ecole Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs), Besançon, Metz, Tours, Grenoble, Paris XIII Villetaneuse ainsi qu'à l'Ecole Nationale d'Administration. Grâce à la nouvelle loi, des enseignants de nationalité étrangère pourraient désormais, à certaines conditions, être titularisés comme maître de conférences et comme professeur. Les deux ‘associés’ demandèrent et obtinrent - en 1973 - leur titularisation et leur intégration dans la Fonction Publique. La stabilité de leurs emplois constituait en même temps un facteur de stabilité pour les études néerlandaises à Lille et à Strasbourg. | |
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Au cours de l'année 1972-1973, le DUEL fut - non sans mal - transformé en DEUG (Diplôme d'Etudes Universitaires Générales). Ce nouveau diplôme, couronnant un premier cycle de deux ans, avait pour but de promouvoir la ‘pluridisciplinarité’ et devrait avoir une certaine valeur sur le marché du travail. Que ceci se soit avéré absolument illusoire, n'enlève rien au fait que le néerlandais pouvait, en vertu de cette pluridisciplinarité, élargir son champ de recrutement d'étudiants. Pour d'autres disciplines que l'allemand ou l'anglais, il devenait parfois intéressant d'ajouter le néerlandais à la liste des options complémentaires. Ainsi de réforme en réforme, les études néerlandaises ont pu se forger une place dans le système universitaire français. On est - hélas - obligé de constater que l'essor des études néerlandaises en France est dû en premier lieu aux structures des études littéraires ainsi qu'à la réformite chronique et en dernier lieu seulement à l'intérêt que les bacheliers qui débarquent dans les universités manifestent pour la langue, la littérature ou la civilisation des pays néerlandophones. La plupart d'entre eux n'ont que des notions extrêmement élémentaires sur les Pays-Bas et la Belgique et n'ont jamais pensé que ces pays voisins pouvaient avoir une langue et une littérature dignes d'être étudiées à l'Université. Obligés de choisir dès la première année de leurs études une ou plusieurs disciplines complémentaires, ils optent pour le néerlandais, soit parce qu'ils préfèrent une langue qu'ils n'ont jamais étudiée encore, donc un enseignement pour débutants, soit parce qu'un enseignant leur a dit que le néerlandais pouvait avoir son utilité à côté de l'allemand ou l'anglais, soit parce que l'institut de néerlandais a la réputation d'être sympa. Parfois aussi le bruit court qu'on y réussit facilement ses examens; le téléphone arabe fonctionne à merveille dans le milieu estudiantin! Quand un enseignant constate une augmentation trop rapide de son auditoire, il lui faut procéder à un sérieux examen de conscience! Rares sont en tout cas les étudiants qui dès la première année choisissent la langue néerlandaise pour des raisons bien arrêtées. C'est ensuite au professeur de transformer le hasard du choix en motivation, voire en enthousiasme. La possibilité de choisir la langue néerlandaise comme 1ère ou 2ème langue au baccalauréat existe depuis longtemps. Cette reconnaissance du néerlandais était cependant condamnée à rester lettre morte si la langue n'était pas enseignée au niveau du secondaire. Dans les Flandres françaises, un nombre grandissant d'élèves suivent depuis plusieurs années des cours de néerlandais. Il semble que ce succès doive être mis sur le compte d'un mouvement profond parmi les jeunes qui fait que partout où il y a un patrimoine culturel fondé sur un dialecte ou une langue régionale, on aspire à un retour aux sources. Partout, ces aspirations sont une saine réaction à une époque de trop grande centralisation qui a négligé, malmené ou même opprimé les cultures régionales. Il est normal dans ce contexte que la jeunesse des Flandres s'intéresse de plus en plus à la langue vivante officielle qui s'est formée au cours des siècles à partir des dialectes néerlandais dont le leur, le flamand, était un des plus importants. Pour le reste, le néerlandais est seulement enseigné dans quelques Lycées de la région parisienne, à Ferney-Voltaire et à ThannGa naar eind(2.). Il s'agit surtout de quelques écoles internationales à forte population néerlandaise et belge. On est encore loin du jour où les parents d'élèves demanderont pour leurs enfants la création de | |
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cet enseignement parce qu'ils en attendent un profit quelconque pour ceux-ci. On semble être obsédé par la présumée utilité de quelques langues mondiales que tout le monde étudie déjà, sans se rendre compte du fait qu'une langue moins connue pourrait donner, justement grâce à sa moindre diffusion, une chance supplémentaire aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. L'enseignement secondaire doit être assuré par des professeurs qualifiés. Leur recrutement et leur formation ont été et sont encore un sujet de préoccupation permanente pour tous ceux qui ont de près ou de loin affaire aux études néerlandaises. Dans les universités, le néerlandais est avant tout une discipline complémentaireGa naar eind(3.). Pour pallier l'absence d'un concours assurant cette qualification, le Ministre de l'Education Nationale a dès 1970 ajouté aux épreuves des CAPES d'allemand et d'anglais une épreuve facultative de néerlandais, en précisant que les candidats reçus à cette épreuve pouvaient se voir attribuer un service partiel de langue et littérature néerlandaises. L'existence d'un tel CAPES très partiel sans Licence préalable a créé une situation bâtarde. Pour combler les lacunes dans la préparation linguistique de ces futurs enseignants, les gouvernements néerlandais et belge ont fait et continuent à faire de grands efforts en attribuant des bourses pour que ces jeunes puissent compléter leurs connaissances de la langue dans les deux pays. Malheureusement, le système a perdu toute efficacité. Le candidat, en effet, ne peut se présenter à l'épreuve facultative qu'après avoir été déclaré admissible aux épreuves orales de la langue principale, l'allemand ou l'anglais. Avec la diminution chronique du nombre de postes mis au concours, c'est miracle qu'un des rares candidats ayant préparé l'épreuve facultative soit parmi ces admissibles. Automatiquement la préparation à cette épreuve est devenue un effort aléatoire et les candidats au CAPES ont plutôt intérêt à consacrer tous leurs efforts à la discipline principale où il est déjà si exceptionnel que l'on réussisse. Pour une autre raison encore, cette épreuve facultative de néerlandais est devenue un leurre: les quelques candidats qui au cours des années ont réussi, se sont vu trop souvent attribuer des postes dans des établissements où le néerlandais n'avait aucune chance de s'implanter et où ils devaient uniquement enseigner l'anglais et l'allemand. On peut se demander s'il n'aurait pas été plus logique de créer d'abord un DEUG et une Licence de néerlandais pour préparer ‘la conquête’ de l'enseignement secondaire. Notre collègue à l'Université de Lille, Walter Thys, a cru devoir travailler dans cette direction. Il a eu gain de cause: un DEUG de néerlandais y fut créé en 1974 et en 1976 il pouvait inscrire les premiers candidats à la Licence. Le professeur Brachin à Paris et l'auteur de ces lignes ne l'ont pas suivi. Sur le principe ils étaient d'accord avec leur collègue lillois qu'un cours de néerlandais doit pouvoir conduire à une Licence. Il n'y a pas de raison que le néerlandais doive se contenter dans le système universitaire français d'une place inférieure à celle de l'espagnol, de l'italien, de l'hébreu, etc. Cependant, ils ont eu scrupule d'une part à attirer sciemment leurs étudiants dans une filière qui n'offrait pas encore de débouchés crédibles et d'autre part à mobiliser beaucoup de moyens pour un nombre très limité d'étudiants aux dépens de l'enseignement dispensé aux grands groupes de nonspécialistes. Dans quelques années on verra quel a été le bon choix. | |
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Bibliothèque de la Section de néerlandais à l'Université de Lille III.
Ce bref exposé qui doit laisser dans l'ombre un grand nombre de problèmes, montre probablement de façon assez claire que les études néerlandaises ont fait, malgré tout, depuis les années 1950, un bond en avant. Pendant l'année universitaire 1979-1980, on comptait dans les universités françaises 951 inscriptions aux Unités de Valeur de langue, littérature et civilisation néerlandaises. On ne peut cependant pas dire que ces études occupent déjà la place qui correspond à l'importance relative du néerlandais comme langue voisine du français en Europe. Il convient d'observer que la création de nouveaux lectorats dans les universités ne peut jamais être plus qu'un début, un essai pour voir si la discipline ‘prend’. La position des lecteurs tout au bas de la hiérarchie universitaire est trop faible pour qu'ils puissent mener leur action de façon autonome et avec l'efficacité requise. Leur traitement est si faible qu'il est généralement impossible de recruter les meil- | |
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leurs candidats à ces postes sans que leur pays d'origine ne leur accorde un complément de salaire. Si on veut vraiment donner aux études néerlandaises la place qu'elles méritent, on devra ajouter aux lectorats des postes d'enseignement d'un niveau plus élevé, à confier de préférence à des néerlandistes français. De tels postes sont également nécessaires pour qu'une nouvelle génération de néerlandistes français puisse se préparer à prendre la relève. A l'Université de Paris IV on a enregistré, lors du départ à la retraite du professeur Brachin, un premier succès dans ce sens par la création d'un assistanat. Une situation ambiguë à l'Université de Metz a récemment trouvé une solution heureuse par la promotion au grade de professeur de l'enseignant déjà en place. Il faudra cependant lui adjoindre le plus rapidement possible un lecteur. Dans l'enseignement secondaire la tâche reste immense. Il est évident que, malgré les avantages que la connaissance d'une ‘langue dite rare’ pourrait procurer aux bacheliers, surtout à une époque où les relations économiques et commerciales avec d'autres pays sont la première condition du développement et du maintien du niveau de vie, la langue néerlandaise ne joue encore aucun rôle réel dans l'enseignement secondaire. L'opinion publique devra encore être persuadée du fait que la langue néerlandaise est une langue à part entière, une langue littéraire et une langue de travail. Mais pour cela il est aussi indispensable que les Belges et surtout les Néerlandais aient conscience qu'ils sont en droit de demander aux autres peuples de faire un effort qui soit - toutes proportions gardées - comparable aux efforts déployés dans ces deux pays pour l'apprentissage des autres langues. Il est évident que les gouvernements des Pays-Bas et de la Belgique ont un rôle très important à jouer dans la diffusion de la langue et de la littérature néerlandaises, trop longtemps oubliées à l'étranger. On ne peut que se féliciter du fait que l'enseignement du néerlandais en France soit déjà un sujet constamment abordé dans le cadre des accords culturels et qu'il soit déjà un fréquent sujet de discussion lors de rencontres entre Ministres des Affaires Etrangères. Les gouvernements belge et néerlandais consacrent des sommes considérables au soutien de l'enseignement du néerlandais en France. Dans une époque de grande pénurie, les universités françaises acceptent volontiers cette aide matérielle, mais il serait souhaitable qu'une telle assistance ne soit pas nécessaire. Un grand pays ayant une grande tradition universitaire pourrait probablement mieux faire pour développer ce rameau encore fragile de son système éducatif. Les fruits qu'il promet seront indispensables à la bonne santé de la coopération européenne. La diversification de l'enseignement des langues vivantes est finalement une nécessité première si on veut parer au danger réel que court l'Europe d'être submergée par une civilisation venant d'ailleurs et d'y perdre son identité culturelle. ANDRE VAN SEGGELEN |
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