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Eddy du Perron à Valery Larbaud
1.
Ce 26 juillet 1932 [Spa].
Monsieur,
Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai pu vous écrire, parce que Stols, en m'envoyant cet exemplaire, avait omis de me donner votre adresse; j'ai dû la lui demander. Je vous envoie ci-joint un autre exemplaire, pour essayer de vous exprimer le plaisir que j'ai éprouvé en recevant cette chose inattendue; vous avez été trop charmant, vous avez renversé les rôles, la gratitude devant être entièrement de mon côté. Je pense qu'avec la connaissance de l'allemand (et de l'anglais) vous avez très bien pu contrôler du moins quelques parties de ma traduction; quant au dessin, trouvez-vous que M. Barnabooth, tout en manipulant le poignet de Melle Hildegarde, présente suffisamment une ‘longue tête osseuse’ et soit suffisamment roux? Ce qui est certain, c'est que, de cette façon, il est impossible de lui donner la ‘fâcheuse ressemblance avec Caton l'Ancien’. Enfin, avec vous je suis sûr du moins que vous ne ferez valoir que la bonne intention et que vous excuserez les fautes du dessinateur.
Stols m'a dit que vous voudriez bien me rencontrer si un jour nous nous trouvions tous les deux à Paris. J'espère bien que ce jour viendra; il me semble souvent que j'ai un tas de choses à vous dire, bien que jusqu'ici je n'aie jamais pensé en même temps que vous pourriez les écouter. D'ailleurs, le jour où je vous verrai, je vous dirai sans doute d'autres choses. Il est si difficile de parler à un homme, tant qu'on a l'impression de le faire à travers un grand homme.
Un jour - il y a au moins six ans de cela - je vous ai écrit, après une grande rencontre (c'était la seconde) avec Barnabooth. En relisant ma lettre, j'ai été ‘sidéré’ en la trouvant si ridicule; j'avais écrit au père inconnu de quelqu'un que j'aimais comme un frère. Plus tard, en lisant que M. de Montherlant vous appelait ‘un écrivain que j'aime et que je vénère’, je me suis consolé par la jalousie; en me disant que Barnabooth devait avoir beaucoup d'autres frères, et qui ne me ressemblaient nullement. Encore plus tard, j'ai même rencontré un de ces frères: il s'appelait Gondrexon!
Enfin, vous devez savoir mieux que quiconque, combien vous devez avoir le sentiment de la prostitution, quand vous rencontrez quelque frère de Barnabooth. Nous parlerons donc probablement d'autres choses.
Je vous remercie encore, Monsieur, des quelques mots que vous avez bien voulu m'adresser et vous prie de me croire sincèrement à vous,
E. du. Perron.
P.-S. Je suis pour le moment à Spa; ce n'est pas Vichy, ce n'est que Spa. Mais si vous deviez me
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répondre, comme probablement je serai parti d'ici, le mieux serait d'adresser votre lettre au Château de Gistoux, Chaumont-Gistoux (Brabant wallon), d'où ma mère se chargerait de me la faire parvenir. Je rougis de honte ayant l'air de vous donner une si triste ‘réplique’ de vos ‘déplacements’!
A la troisième ligne, nous pouvons lire aussi ‘su’ au lieu de ‘pu’, car Du Perron y a superposé les deux lettres, sans que nous puissions distinguer quelle est exactement la version originale, et la version corrigée. Le dessin auquel il est fait allusion était le dessin de la couverture de l'édition néerlandaise de la nouvelle Le pauvre chemisier, conçue par W.J. Rozendaal. Gondrexon était une relation française de Stols, qui habitait La Haye et dont il est aussi question dans les lettres adressées par celui-ci à Larbaud.
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2.
Monsieur,
En rentrant à Gistoux, j'y trouve votre Technique. Je vous en remercie, sans encore l'avoir lu, puisque je me débats dans toutes les complications d'un déménagement double (Hollande et Belgique) à Paris. J'ai trouvé un appartement à Bellevue-Meudon, dans une rue charmante mais qui s'appelle: rue du 11 Novembre 1918. Le numéro est 24. A partir du 15 septembre, ce sera là mon adresse; si après avoir parcouru les Savoies, vous deviez passer quelques jours de l'hiver à Paris, je serais très heureux si vous vouliez y envoyer un mot pour me fixer rendez-vous.
Croyez moi sincèrement à vous,
E.d.P.
Gistoux, 2 sept. '32.
Après avoir cherché un logement à Paris et aux environs en vue de son établissement en France, le couple resta encore quelque temps dans la demeure des parents de Du Perron à Gistoux, à proximité de Wavre (Brabant wallon), en Belgique, que sa mère fera bientôt démeubler en vue de la vendre. Ils ne s'installeront dans la nouvelle demeure que le 21 septembre. Technique de Larbaud venait de paraître à Paris, chez Gallimard, série Les Essais, no. 6.
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3.
Bellevue, 2 janvier 1933.
Cher Monsieur,
C'est extrêmement gentil de vous de ne pas m'avoir oublié. Mais avez-vous reçu la lettre dans laquelle je vous ai remercié pour Technique et donné ma nouvelle adresse? Car j'habite la France, actuellement, Bellevue (S et O), 24 avenue du 11 Novembre, pour être précis.
Le Gistoux est en train d'être liquidé, les meubles sont vendu[s], ‘les briques ne trouvent pas encore acheteur’. Pour le dire autrement: ‘Mon peutit chiâto est vuidé, et attend le commissairepriseur’. Je suis en train de me demander quand les braves gens auront raison, qui écrivent sur les murs, ici: ‘Vive les Soviètes’; c.à.d. quand nous serons liquidés complètement en faveur de ce fameux ‘homme nouveau’ qui me paraît si bête.
Si vous venez à Paris dans un temps pas trop éloigné, voulez-vous me rencontrer quelque part? J'en serais très heureux, et non seulement cela, je vous le demande un peu dans un but utilitaire, ayant l'intention d'écrire un grand article sur vous dans De Gids, qui est un peu le Mercure de France hollandais (*).
Croyez, cher Monsieur, que je vous retourne le plus sincèrement possible vos voeux de nouvel-an, et que je reste votre bien dévoué,
E.d.P.
(*) oh!... enfin.
Du Perron doit s'être trompé en ce qui concerne la date, car à cette date même, il partit pour Bruxelles, où sa mère devait mourir le lendemain. Etant donné le contenu de cette lettre, celle-ci pourrait avoir été écrite le 2 février 1933. L'article projeté pour la revue De Gids n'a jamais paru.
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4.
Paris, 8 janvier '34.
Monsieur,
Merci de m'avoir envoyé le Gouverneur. Je connaissais cet article, pour l'avoir lu dans la NRF. Ce petit jeu est en effet surtout une occasion de parler préférences. Si je devais emporter à Port-Noël cinq auteurs, mon choix serait fait: Shakespeare (voui), Stendhal, Nietzsche, Multatuli (c'est un auteur hollandais que l'Europe ignore et tant pis pour l'Europe), Edgar Poe ou Gide. Ou les deux, ce qui ferait 6 auteurs. Maintenant, s'il me fallait nommer les 3 livres que je mets personnellement au-dessus de tous les autres, les voici: Henri Brulard, Barnabooth, le Petit Ami de Paul Léautaud. Ce ne sont plus des ‘auteurs’ comme vous dites, ce sont des ‘parents’.
Mais il y a une chose qu'on oublie dans l'histoire de l'île déserte, de Kerguelen etc., c.à.d.: quel caractère aura l'île, le désert, le Port-Noël? Peutêtre que si on le savait d'avance, on laisserait ses préférences pour n'emporter que l'adéquat, et que moi, par exemple, je me mettrais à lire deux poètes que je déteste assez: Whitman et Claudel. ‘Dans la vie’ j'ai besoin de Brulard, devant le désert ce serait peut-être moins stérile de se remplir avec les sonorités de Claudel et de croire avec lui - de s'imaginer plutôt - qu'on est plus fort que tout quand on s'est mis du côté de ‘Dieu’.
Il me reste à vous retourner les meilleurs voeux de nouvel-an. L'année passée a été pour moi tout simplement désastreuse: mort de ma mère et ruine financière complète. On m'avait fait croire que j'aurais environ 2.000.000 de francs, et je dois m'estimer tout heureux si j'en tire 40.000 ou moins encore. Depuis un an je me débrouille, et très mal, pour vivre. Il y a aussi ce temps si ‘fort’ et si politique, qui est fait pour nous enlever tous les
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goûts que nous avions. Comment relire Barnabooth dans ma situation actuelle? Je l'aime encore, mais je le laisse fermé; dans quelque temps j'en aurai peut-être peur.
Vous, j'aimerais toujours sincèrement vous rencontrer. Vous m'aviez promis de me faire signe si vous veniez à Paris; je ne sais pas si vous êtes venu, mais de toute façon j'ai pensé que vous ne teniez pas du tout à me voir, ce qui du reste ne serait que normal. Si le Gouverneur m'a fait plaisir, c'était surtout parce que ça pouvait être une preuve du contraire. Je vous quitte à présent en vous donnant ma nouvelle adresse, mais elle n'est bonne probablement que jusqu'au 1er février: 19 rue de l'Yvette, Paris 16e.
Bien à vous,
E.d.P.
Du Perron habite 19, rue de l'Yvette à Paris du 1er décembre 1933 au 1er mars 1944. Le gouverneur de Kerguelen (Abbeville, F. Paillart, 1933) avait paru auparavant dans La Nouvelle Revue française du 1er mars 1933.
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5. [Entre le 17 et le 22 mars 1934.]
Monsieur,
Mon ami Stols, en m'envoyant votre plaquette d'Ablaincourt m'a donné votre adresse à Paris, prétendant que vous vous y trouviez. A tout hasard je vous y écris pour vous donner ma nouvelle adresse: 17bis rue Erlanger, Paris 16e. Si vous voulez toujours me rencontrer... Moi, j'en aurai un très grand plaisir - à condition que vous ne me voy[i]ez pas comme un admirateur-poursuivant ou autre chasseur de grands hommes. De cela, je n'aurais qu'une honte insurmontable, je vous l'assure. Bien à vous,
E.d.P.
Patru et d'Ablancourt de Larbaud, avant d'être publié séparément, avait paru dans Les Nouvelles littéraires du 11 mars 1933. Du Perron annonce à Stols, le 17 mars 1934, avoir reçu ce livre ainsi que Le gouverneur de Kerguelen de Larbaud, mais n'avoir jamais reçu aucune autre nouvelle: ‘...il ne semble vouloir communiquer avec moi que par des envois de livres’. Le 22 mars, il écrit à Stols: ‘J'ai écrit à Larbaud. S'il ne veut pas me voir, tant pis. Je ne l'en porterai pas moins dans mon coeur, mais je romprai définitivement avec lui, du moins en ce monde...’.
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6. [2 avril 1934.]
Cher Monsieur,
Vous ne savez pas à quel point votre carte m'a fait plaisir. J'avais l'impression que le ton de mes lettres (peut-être) vous avait profondément déplu, et que vous ne vouliez décidément communiquer avec moi que par imprimés!
Malheureusement je me vois obligé de partir aujourd'hui à Bruxelles. Je ne serai de retour que lundi prochain (9 avril). Voulez-vous me convoquer pour un autre jour?
Je vous remercie d'avance et reste bien à vous,
E.d.P.
17bis, rue Erlanger, Paris (16e).
Après le séjour que Du Perron effectua à Bruxelles du 2 au 6 avril, la rencontre dont il est question eut lieu le 2 mai au café Helvetia à Paris.
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7.
Grenoble, 7 mai [1934, carte postale].
Cher Monsieur,
Voulez-vous (si vous en trouvez le temps) m'envoyer les vers de Maurice Scève que vous m'avez cités et où il y a [il est] question de ce qui domine la vaine discussion politique? Le nouveau musée, ici, est modeste, mais il y a de jolis portraits. Je vous envoie celui d'un homme qui doit vous être sympathique.
Croyez-moi votre dévoué,
E.d.P.
Du 4 au 14 mai, Du Perron séjourna d'abord à Grenoble et puis à Claix, dans les environs, où il explorait la région que Stendhal avait décrite comme l'un des domaines de sa jeunesse. La carte postale comportait une reproduction du portrait du grand-père de Stendhal, le docteur Gagnon, qui se trouvait au musée Stendhal.
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8.
Cher Monsieur,
Avec quelque retard, à cause d'un séjour en Bretagne, je vous écris pour vous remercier du très curieux poème que vous m'avez envoyé avec vos voeux de nouvel an. Veuillez croire à mes meilleurs voeux pour vous et m'excuser si je n'ai rien d'équivalent à vous offrir en matière poétique. Stols m'a demandé de traduire pour lui Fermina Marquez, ce que je ferai avec le plus grand plaisir. Il doit vous en avoir parlé, car je vous soupçonne de vous trouver près de lui, puisque l'enveloppe portait votre écriture et le timbre - un peu sachaguitryien - de Berg-op-Zoom...
Si Stols se décide pour la traduction, j'aimerais vous consulter sur certains détails, ce qui me paraît un excellent prétexte pour le plaisir de vous revoir.
Croyez moi sincèrement à vous,
E.d.P.
Paris, 17bis rue Erlanger
Ce 5 janvier 1935.
Du Perron séjourna du 3 décembre 1934 au 3 janvier 1935 dans un petit hôtel de la localité Le Roselier-en-Plérin, dans la baie de Saint-Brieuc, pour y travailler à son roman autobiographique Het land van herkomst (Le pays d'origine). Le poème auquel fait allusion Du Perron est La Neige, qui fut écrit le 29 décembre 1934 à Bergen-op-Zoom (Brabant septentrional) dans le sud des Pays-Bas (OEuvres, Pléiade, p. 1113). Larbaud n'a pas rencontré Stols à cette occasion, ce dont celui-ci se plaint dans une lettre qu'il lui adressa au mois de janvier 1935.
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9.
Paris, 25 juillet 1935.
Cher Monsieur,
Merci de m'avoir écrit de Tirane et d'avoir accordé cet intérêt au manuel de littérature néerlandaise! J'ai terminé la traduction de Fermina il y a une quinzaine de jours, et Stols m'envoie déjà les premières épreuves. Je m'empresse donc de vous envoyer ma liste; vous pourriez remplir l'autre côté du papier. Il me semble que pour la Hollande il faudrait traduire les citations latines et espagnoles en notes à la fin du volume: comme je ne connais que très mal ces deux langues, vous me feriez plaisir en m'envoyant votre traduction. Quant au texte français, je crois m'en être tiré assez bien, quoique ce petit livre s'est révélé bien plus difficile qu'il n'en avait l'air. J'ai tâché d'être aussi fidèle que possible, en supprimant néanmoins le ‘monsieur’ et ‘mademoiselle’ que se donnent ces enfants et qui, en hollandais, seraient devenus trop comiques. Le grand discours final de Joanny a été un morceau plein d'embûches pour la même raison; pour éviter que le jeune homme [ne] devienne ‘impossible’ dans le sens le plus complet du mot, j'ai dû exécuter ce morceau piano.
J'espère vous revoir à Paris, cet hiver, si les révolutions qu'on annonce de droite et de gauche nous laissent tranquilles. Mais il se peut que j'aille passer une partie du mois d'août chez des amis dans le Morvan. Je pense que de là à Saint-Pourçain [ce] doit être un voyage un peu compliqué mais faisable - peut être même pour l'aller et retour en une journée? - et si je ne vous dérangeais pas, je pourrais essayer de le faire. Pourtant, rien n'est encore décidé; peut-être irai-je prosaïquement en Hollande et dans des endroits moins attirants que Bergen-op-Zoom.
Croyez moi, cher Monsieur, votre dévoué,
E.d.P.
J'ai changé d'adresse et je me trouve à présent au 88 boulevard Murat (16e).
Au mois de juillet 1935, Larbaud avait logé chez son ami Marcel Ray, qui était consul dans la capitale de l'Albanie, Tirana. L'allusion au manuel de littérature néerlandaise doit avoir trait à un projet non réalisé. Le questionnaire de Du Perron relatif à la traduction de Fermina Marquez s'est perdu. Les Du Perron logèrent du 7 au 19 août chez Clara Malraux à Lévêque par Châteauneuf-Val-de-Barges dans le Morvan.
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10.
Cher Monsieur,
J'ai bien reçu votre lettre recommandée, avec celle de la NRF, et je les envoie par la même poste à notre ami Stols, qui doit être seul à répondre. J'ignorais moi-même qu'il n'avait pas encore l'autorisation de M. Gallimard, puisque je n'ai fait la traduction que sur sa demande (au moment à peu près où je vous en ai parlé la première fois). J'espère que l'affaire sera vite arrangée.
Avec mes meilleurs voeux pour la guérison de votre bras, je reste bien à vous,
E.d.P.
Paris, le 29 juillet 1935.
Monsieur Gallimard, le directeur de la maison d'édition La Nouvelle Revue française, s'était plaint qu'il n'y ait pas eu d'arrangement avec lui au sujet de la traduction néerlandaise de Fermina Marquez par Du Perron.
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11.
Levêque, le 15 août 1935.
Cher Monsieur,
Merci de m'avoir écrit, et cela malgré le petit accroc Gallimard-Stols. Je suis triste de vous savoir à Paris maintenant; d'abord parce que vous y avez affaire aux médecins, ensuite parce que me voici dans le Morvan, quelque part entre Cosne et La Charité, de sorte que j'aurais pu facilement me rendre dans les environs de Vichy. Mais j'espère vous revoir à Paris, et vous y revoir guéri.
Quant aux traductions des phrases latines et espagnoles, je n'ai jamais pensé les faire dans le texte même, mais à la fin du volume; surtout parce que Stols veut l'insérer dans une série ‘abordable’, genre Albatross (on ne voit plus que cela en Hollande). Vous avez une trop bonne opinion de la littérature hollandaise en supposant Tibulle et l'Espagnole Anglaise traduits, et dans de bonnes traductions encore; peut-être trouverai-je Tibulle dans un hollandais périmé de 1840, mais Cervantès sûrement pas. (Nous avons deux traductions de Don Quichotte, incomplètes à tous points de vue). Mais peu importe; pour ces traductions en fin de volume - qui, du reste, ne sont pas indispensables -, j'aurai le temps.
Stols m'a écrit, en effet, qu'une loi, ayant quelque rapport avec la convention de Berne, je crois, autorise tout éditeur hollandais de s'approprier en traduction tout ouvrage étranger paru depuis 15 ans. Je m'en doutais: dans les provinces de l'Europe on a encore de ces droits là, et ce qui est plus curieux, il s'y établit ensuite un droit de premier accapareur. C'est-à-dire que celui qui a fait traduire un livre en Hollandais, même très mal, peut défendre sa traduction contre d'autres traducteurs, comme s'il était, lui, l'auteur en personne. Je ne sais pas si M. Gallimard a des moyens pour combattre cette loi en soi; sinon, ce serait peu juste d'incommoder le seul Stols qui, du moins, pourrait dire qu'il a lu et aimé vos écrits.
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Quand on pense qu'un grand éditeur hollandais comme Querido vient seulement de faire traduire Gide, et avec infiniment de prudence (malgré la toute actuelle célébrité politique) et, bien entendu, en l'ignorant tant qu'il peut... Stols, lui rêve depuis longtemps d'éditer vos oeuvres complètes aux Pays-Bas; Fermina est son coup d'essai. Voilà à peu près ce qu'il m'a dit; je ne comprends seulement pas pourquoi il ne vous en a pas informé jusqu'à présent.
Pour ma part, je suis à la disposition de Stols ou de tout autre pour vous traduire entièrement; je serais heureux de faire pour vous aux Pays-Bas ce que vous avez fait pour Butler en France. Mais j'ai bien peur que cela aussi ne restera qu'un rêve. Vos vrais lecteurs, même aux Pays-Bas, vous lisent en français.
Excusez cette lettre écrite sur mes genoux avec une encre d'auberge, et veuillez me croire, à travers toutes les lois et luttes éditoriales, votre dévoué
E.d.P.
(J'aurais de grands sentiments de tendresse pour M. Gallimard s'il se décidait à publier vos oeuvres complètes au moins comme celles de Proust, dans la collection dite ‘La Garbe’).
Larbaud a traduit en français entièrement ou en partie, de l'auteur anglais Samuel Butler (1835-1902): Erewhon ou De l'autre côté de la montagne, Note-Books (Bloc-notes), The Way of All Flesh (Ainsi va toute chair), Life and Habit (La vie et l'habitude), Erewhon revisited Twenty Years Later (Nouveaux voyages en Erewhon).
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12.
Cher Monsieur,
Je suis rentré à Paris, et à votre disposition si vous voulez me voir. C'est-à-dire jusqu'au 8 septembre, car je me vois obligé de partir pour la Hollande où je resterai probablement jusqu'au début d'octobre.
J'aimerais beaucoup vous revoir, mais j'espère vous retrouver guéri, ou presque. Si ma visite devait vous incommoder, dites-moi très simplement non, et essayons de nous revoir en octobre.
Croyez-moi bien à vous,
E.d.P.
Paris, ce 28 août 1935
88, boulevard Murat.
Du Perron partit le 13 octobre 1936 pour les Indes néerlandaises dans l'espoir d'y trouver ce qu'il n'avait pu trouver en Europe, c'est-à-dire du travail qui lui convînt et pour lequel il fût raisonnablement rémunéré. Là non plus, il ne devait pas réussir, et, déçu, il réintégra les Pays-Bas le 21 septembre 1939. Larbaud, invalide jusqu'à sa mort, parlant par monosyllabes mais demeuré tout à fait lucide, fut sans doute informé par Stols de sa mort survenue inopinément le 14 mai 1940. |
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