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‘La maison de Rockox’, Keizerstraat, Anvers. Façade avec, à l'arrière-plan, la maison de Frans Snijders (en cours de restauration).
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Un nouveau musée pour la ville d'Anvers: la maison de Rockox
Ludo Bekkers
Né en 1924 à Anvers. Producteur en chef des émissions artistiques de la section néerlandaise de la Radio-télévision belge (BRT). Collabore à plusieurs revues en Flandre et aux Pays-Bas en tant que critique d'art.
Adresse:
Lange Van Ruusbroecstraat 13, 2000 Antwerpen
(Belgique).
C'est sans doute grâce à une bonne planification et à un excellent calendrier qu'a pu être inaugurée, avec une solennité discrète, le 20 avril 1977, au seuil de la grande commémoration de Rubens à Anvers, la maison de Rockox entièrement restaurée et réaménagée. Ainsi la ville d' Anvers possède-t-elle, avec les maisons de Rubens et de Plantin-Moretus, la maison des Vierges, celle des Brasseurs, celles d'Ortelius, de Jacob Jordaens et des Arquebusiers, auxquelles s'ajoute maintenant la maison de Rockox, magnifique série de demeures historiques de style Renaissance du dix-septième siècle flamand. Le nom de Maison de Rockox date de plus tard et rappelle au souvenir le propriétaire le plus important et le plus illustre, car le nom de l'immeuble était initialement ‘Sint-Jacob’ (Saint-Jacques) et ‘Den Gulden Rinck’ (L'anneau d'or). Nicolas Rockox (1560-1640) acquit la maison et l'immeuble avoisinant en 1603, lorsqu'il remplit pour la première fois les fonctions de bourgmestre d'Anvers. Il fit aménager les deux habitations en une seule et somptueuse maison patricienne, où il vécut jusqu'à sa mort en 1640 et qu'il légua par testament à son neveu Adriaan van Heetvelde, dont le dernier fils mourut en 1712. Deux ans après, elle fut vendue à Frans van Simpelvelt, qui fit transformer la façade Renaissance dans le style qu'elle a gardé jusqu'à nos jours. Ce qui explique la date de 1715 au fronton de la maison. Au cours des années, les propriétaires successifs firent apporter encore de nombreuses modifications, toujours adaptées au goût de l'époque. Au cours de la première guerre mondiale furent conçus les premiers plans de
restauration, qui furent partiellement exécutés dans les années vingt. En 1949, l'immeuble devint la propriété de l'asbl Artistenfonds (Fonds des artistes). Le promoteur, Benoît Roose, en fit un musée et y exploita en sous-sol une brasserie
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Façade intérieure de la maison de Rockox.
très fréquentée. Après sa mort, ce fut la lente déchéance jusqu'au moment où, en 1970, un établissement bancaire flamand l'acquit, en même temps que la maison avoisinante, qui avait appartenu au célèbre peintre animalier et collaborateur de Rubens, Frans Snijders, et qui, à son tour, est actuellement en cours de restaura- | |
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tion. La banque stimula la création d'une asbl Stichting Nicolaas Rockox (Fondation Nicolas Rockox), qui se fixait pour objectif de ‘gérer le musée de la maison de Rockox comme un centre culturel, appelé à témoigner des facettes multiples du prestigieux passé et du rayonnement culturel actuel des régions flamandes’ (Moniteur belge du 4 février 1971).
Les nouveaux propriétaires entendaient restaurer la plus grande partie de la maison de Rockox le plus fidèlement possible dans son état originel, c'est-à-dire l'état dans lequel elle devait se trouver à l'époque de Rockox. Des recherches faites dans les archives apportèrent quelques éléments intéressants, mais ne permirent pas de mettre la main sur des plans qui puissent fournir des indications précises pour la restauration. Toutefois, après que les faux plafonds eurent été enlevés et les murs ravalés, les traces des transformations antérieures devinrent plus claires, ce qui permit d'apprécier plus sérieusement la valeur historique de l'immeuble. Les conclusions permirent de formuler une proposition à l'intention de la Commission royale des monuments et des sites. Avec l'accord de celle-ci fut réalisée finalement une restauration exemplaire, qui sut intégrer parfaitement le confort moderne indispensable dans le décor originel. Ainsi fut reconstruite dans la rue de l'Empereur anciennement très aristocratique, une double maison du dixseptième siècle, qui nous donne une idée de la prospérité et de la culture de ses anciens habitants.
En effet, la restauration ne se limitait pas au seul bâtiment. En sept ans, on s'est efforcé de reconstituer le plus fidèlement et exactement possible l'intérieur originel. Cela s'avéra bientôt plus difficile que la rénovation du bâtiment même. Après la mort du dernier héritier de Rockox, en 1712, le mobilier avait été vendu publiquement, en exécution de l'ancien testament,
Portrait de Nicolas Rockox, détail du volet de gauche du triptyque ‘L'incrédulité de saint Thomas’ de P.P. Rubens.
à la suite de quoi une partie importante des oeuvres d'art et des meubles avait été dispersée dans des collections publiques et privées. Il fut donc impossible de mettre la main sur les pièces originales. Toutefois, grâce à l'étude des archives, on réussit à dresser un inventaire précis des oeuvres d'art que possédait le bourgmestre Rockox. Quatre documents importants de l'époque pouvaient être consultés: l'inventaire complet de la maison mortuaire fut établi à la mort de Rockox le 20 décembre 1640, par le notaire David van der Soppen, et il est conservé actuellement à la maison des Vierges à Anvers; un second document, qui se trouve au musée Meermanno Westreenianum, musée du Livre, à La Haye, est l'inventaire qu'a établi Rockox lui-même de ses collections, en les faisant accompagner de commentaires, et qui
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Cour intérieure de la maison de Rockox.
compte soixante-et-onze feuilles de parchemin in-folio; un troisième élément d'information, c'est l'important tableau de Frans Francken II, Le festin chez un amateur d'art (Pinacothèque de Munich), qui a été peint en exécution d'une commande du bourgmestre et qui reproduit son merveilleux cabinet d'art; enfin, on a pu reconstituer l'inventaire notarié, à la description parfois imprécise, de meubles et d'objets d'art en s'appuyant sur des reproductions de cabinets d'art, natures mortes et des tableaux de genre exécutés par des peintres anversois contemporains de Rockox.
Sur la base de ces données historiques, on a cherché systématiquement chez des antiquaires et dans des ventes publiques à travers l'Europe entière, des pièces se rapprochant le plus possible des pièces originales. Que tout cela, à l'exclusion des implications financières, ait pu se réaliser dans un délai de sept ans, cela tient presque du miracle. Trente-trois tableaux des principaux artistes des Pays-Bas méridionaux des seizième et dix-septième siècles représentent un patrimoine d'une valeur artistique unique. La plupart d'entre eux peuvent être considérée comme des sommets dans l'oeuvre des différents peintres et se trouvent dans un excellent état. Ce n'est pas ici le lieu d'en présenter un catalogue exhaustif. Signalons cependant que font partie de cette collection trois oeuvres de Rubens et de magnifiques oeuvres de Joachim Patenier, Joachim Beuckelaer, Hans Bol, Joos II de Momper, Pieter Bruegel le jeune, David Vinckeboons, Roelandt Savery, Frans Snijders, David Teniers le jeune, Jan Fijt. Et il y a encore une madone en marbre de Lucas Faidherbe, un crucifix typiquement anversois, des coffrets à bijoux, des coupes, des cruches, de la porcelaine et des lustres en cuivre. Pour ce qui est du mobilier, la collection se compose de meubles du dix-septième siècle, parmi lesquels des armoires à cinq portes, des buffets richement sculptés et quatre cabinets d'ébène, meubles typiquement anversois, dont la ville était l'un des principaux producteurs aux dix-septième siècle. Comme il peut ressortir de cette énumération sommaire, la maison de Rockox représente donc un important complément venant s'ajouter au nombre déjà assez élevé de musées que possède la ville d'Anvers,
même s'il s'agit, en l'occurrence, d'un musée privé qui est ouvert au public. Mais son intérêt ne réside pas exclusivement dans le contenu et dans la restauration parfaite, mais aussi dans le fait que la demeure a appartenu à une personnalité qui fut étroitement liée à la vie et aux activités artistiques de Rubens. On appelait du reste Rockox ‘l'ami et le patron’ du peintre, avec lequel il collabora intensément pour faire de l'Anvers du dixseptième siècle la capitale du baroque en Europe occidentale. Jusqu'à nos jours, la réputation de Nicolas Rockox s'est fondée principalement sur ses relations avec Rubens. Nous ne devons pas perdre de vue, cependant, qu'il joua cinquante ans
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Grand salon de la maison de Rockox. Au-dessus de la cheminée, le portrait de ‘Nicolas Rockox’, par P.P. Rubens. Entre les deux armoires, ‘La maraîchère’ de Joachim Beuckelaer. Cabinet incrusté d'ivoire représentant des oiseaux et des scènes bibliques d'après des gravures d'Adrien Collaert.
durant un rôle important dans la vie publique d'Anvers, ce qui lui valut de figurer dans la longue liste des bourgmestres remarquables qu'a connus la ville d'Anvers tout au long de son histoire. Il avait commencé à servir la cité en sa qualité de membre de la milice à l'époque du bourgmestre Marnix de Sainte-Aldegonde et combattit ensuite lorsque la ville d'Anvers fut assiégée par le duc Alexandre Farnèse. Suivirent huit mandats d'échevin et neuf de bourgmestre. De plus, il fut doyen de la Halle aux draps, capitaine de la guide des Arquebusiers, trésorier principal et bourgmestre. A l'occasion de la Joyeuse Entrée des archiducs Albert et Isabelle à Anvers, en 1599, Rockox fut armé chevalier. Outre ses activités sociales et politiques, qui auraient déjà largement suffi à lui valoir une place dans l'histoire des Pays-Bas, il déploya encore une longue activité d'humaniste, de collectionneur, d'amateur d'art et de numismate. De nombreux liens d'amitié le lièrent à de prestigieux juristes, philologues, hommes de lettres et humanistes, de toute l'Europe, qui venaient lui rendre visite dans sa demeure somptueuse et hospitalière lorsqu'ils étaient de passage dans les Flandres. Même si sa collection de monnaies et d'antiquités était d'une rare importance, son attention se portait en premier lieu sur la peinture. Nombre de peintres furent ses amis personnels et beaucoup
d'entre eux, et notamment Antoon van Dyck et Otto Venius, ont exprimé cette amitié dans des portraits qu'ils firent de leur hôte. Rubens lui-même a portraituré son ami et protecteur sur le volet de gauche du triptyque L'incrédulité de saint Thomas, qui se trouve au Musée royal des beaux-arts d'Anvers, où se trouve aussi un portrait du bourgmestre provenant de l'atelier de Rubens. Dans Le cabinet d'art de Cornelius van der Geest par Willem van Haacht (Maison de Rubens, Anvers), Rockox figure parmi les invités. Son voisin et ami Frans Snijders était à ce point lié avec le mécène qu'il mit sa signature, en tant que témoin, sous le dernier codicille du testament de celui-ci.
Toutefois, les relations entre Rockox et Rubens furent les plus importantes de tous. Il est difficile de savoir dans quelle mesure les liens allèrent au-delà d'un respect et d'une aide réciproques. Aucun auteur ne se prononce sur ce point. Laissons donc de côté la question de savoir si les deux hommes étaient amis sur le plan privé. Ce qui est certain, c'est que le bourgmestre aussi bien que le peintre ont su mettre à profit cette amitié, et ce, pour Rubens forcément plus que pour Rockox, avec des conséquences tangibles sur le plan matériel. Il est probable que Rockox connaissait déjà Rubens avant que celui-ci ne partit pour l'Italie en 1600, mais nous n'en avons aucune preuve. C'est un fait qu'au lendemain de son retour à Anvers, en 1608, le bourgmestre lui commanda L'adoration des Mages (Prado, Madrid), toile destinée à la salle des Etats de l'hôtel de ville. Peu de temps après, Rockox commanda à titre privé le tableau qui représente Samson et Dalila. Le Christ en croix (Musée royal des beaux-arts, Anvers), qui était destiné à l'église des Frères mineurs, porte le monogramme
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Vue de l'intérieur de la maison de Rockox, avec ‘Les proverbes’ de Pieter Bruegel II.
N.R., ce dont Max Rooses conclut que Rockox fut associé à sa réalisation. En 1611, la guilde des Arquebusiers, dont Rockox était le capitaine, commanda le triptyque La descente de croix, mondialement connu, destiné à l'autel de la guilde dans la cathédrale d'Anvers. Rubens portraitura d'ailleurs le capitaine Rockox parmi les personnages du volet de droite. En 1613 suivit encore une autre commande privée: le triptyque de L'incrédulité de saint Thomas, que nous avons déjà mentionné et qui était destiné à la chapelle de l'église des Frères mineurs où Rockox et son épouse seraient enterrés. Le coup de lance (Musée royal des beaux-arts, Anvers) était aussi une commande personnelle, le tableau était destiné au maître-autel de la même église. Enfin, Rockox fit décorer à ses frais la chapelle Saint-Joseph dans l'église Saint-Charles-Borromée en y plaçant le Retour d'Egypte de la Sainte Famille (Metropolitan Museum of Art, New York). Rockox ne limitait pas ses relations avec Rubens uniquement à ses commandes. Il sollicita aussi son avis pour la composition de sa collection de tableaux, fit appel à lui pour la vente de la précieuse collection de monnaies anciennes du duc d'Aarschot, l'associa à une publication sur ses camées et lui demanda conseil pour sa collection d'objets anciens tels que des bustes, etc.
Comme on peut le constater, il y eut de nombreuses années de collaboration intense entre ces deux hommes dont chacun sut probablement - même s'il ne nous en est pas parvenu de preuves écrites - apprécier la compagnie de l'autre et sa conversation, sur tous les sujets qui, à l'époque, relevaient du domaine de l'honnête homme. Et qui sait si Rubens ne consulta pas son ami avant d'accomplir quelque mission diplomatique. Les relations entre les deux hommes ont incontestablement revêtu un grand intérêt du point de vue de l'histoire de l'art: Rubens possédait les talents nécessaires, mais Rockox pouvait créer un certain nombre de ces possibilités dont tout talent a besoin pour trouver et suivre sa voie. Une estime et un attachement mutuels furent le ciment de cette importante coopération, qui prit fin en l'an 1640, année où ils moururent, tous les deux, Rubens le premier, le 30 mai, puis Rockox, le 12 décembre.
La restauration de la somptueuse maison patricienne de la ‘Keizerstraat’ à Anvers, telle qu'elle a été effectuée récemment, est le plus bel hommage qui puisse leur être rendu.
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Sources:
Karel Vanderhoeght, Nicolaas Rockox, Stichting Nicolaas Rockox, 1977. |
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Frans Baudouin, Nicolaas Rockox ‘vriendt ende patroon’ van Peter Paul Rubens (Nicolas Rockox ‘ami et patron’ de P.P. Rubens), Kredietbank, 1977. |
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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