quitte le passé pour l'avenir. Et la Flandre française est devenue ce Janus Bifrons qui présente un visage différent selon le côté où l'on se place: elle sait le français et devient pour les français une certaine catégorie de patoisants; elle sait encore le flamand et se plaît quand elle rencontre l'un de ceux qui marchèrent avec elle sur la route de l'histoire, jadis, à faire cliqueter ses vieux bijoux de familie: us et coutumes, langue et lambeaux de folklore. Mais qui se sert encore de chaudrons et de crémaillères en Flandre? Car c'est là le drame: le vieux langage pour ne s'être pas rénové meurt avec les vieilles réalités et les nouvelles apportent avec elles leur langue.
Serait-ce pour vous décourager qu'en un article qui se veut positif je vous aie dressé ce bilan de débacle? Non. Mais pendant que les ténors déchanteront en mesure sur l'air du ‘Tout va bien, Madame la Marquise’ et se gargariseront des vertus de notre peuple, les réalités se vengeront: elles ont horreur des utopiques. Quel est le possible?
Le peuple sait encore assez bien son dialecte flamand. On peut donc encore l'atteindre par des conférences, par du théâtre, par du folklore (encore faut-il noter à ce sujet que toute l'Europe voit peu à peu mourir son folklore). Peut-on encore le toucher par le canal de la radio et de la télévision? On m'a affirmé que oui. Cela ne peut être, à mon avis, le cas que pour une minorité: même pour un bon dialectisant, l'A.B.N. est presque une langue étrangère: les sons différent assez souvent, les mots parfois aussi et enfin le vocabulaire employé est depuis longtemps perdu par les gens. Par ailleurs le peuple vit et met sa très réelle solidité au service de la vie courante. La défense d'une langue (que ce soit celle du latin par Cicéron et consorts ou celle, désespére, de l'irlandais) est, au départ du moins, affaire d'intellectuels. D'ailleurs le peuple, livré à lui même restera-t-il bilingue? A mesure que craquent les structures économiques, le français s'implante. Le flamand n'a plus d'enseignement et subit de ce fait le sort de ces langues australiennes qu'on amputait d'un mot à la mort de chaque individu. Il faudrait que le peuple apprenne l'A.B.N. (et pour cela que les jeunes intellectuels donnent l'exemple), mais j'ose parier que rares seront les gens du peuple qui voudront le faire: beaucoup ne lisent rien en français, croit-on pouvoir les amener à lire en néerlandais? Et puis il y a de moins en moins de peuple: l'exode rural écrème les élites intellectuelles (je sais bien que cela ne veut pas toujours dire, il s'en faut, les élites tout court). Seule une étroite symbiose avec la Flandre beige pourrait sauver la langue flamande en Flandre française. Souhaitons qu'elle soit encore
possible.
Restent les ‘intellectuels’. J'entends par là tous ceux qui ont fait des études et ont, du même coup, quitté les Flandres ou à tout le moins le secteur des Flandres qui parle encore flamand. Il faut d'abord noter que ces ‘intellectuels’ s'éparpillent un peu partout dans les villes oò leur faible proportion les fait comme disparaître. Leur amour du flamand, quand il existe, s'exerce rarement parmi un groupe du compatriotes, ils lui réservent un petit coin préservé de leur vie intime: lectures personnelles, auditions, etc.. Mais au fait pourquoi un intellectuel apprend-il l'A.B.N.?
Il peut le faire tout d'abord par attachement sentimental à son peuple dont la vitalité se marque tant dans le domaine économique que dans le domaine culturel. Encore n'est-ce souvent qu'une curiosité marginale et non un attachement exclusif. Il peut le faire aussi par facilité parce que cela lui sert pour un examen. Il peut le faire enfin parce qu'il estime regrettable de ne pas user de la facilité d'accès qu'il a à une littérature qui présente beaucoup d'intérêt. Cela est finalement assez mince. Car enfin, comparons: pourquoi apprend-on surtout une langue étrangère? Parce qu'elle a un intérêt commercial ou véhiculaire. Il faut bien avouer que le néerlandais n'a que peu de chances en ce domaine. Je ne sousestime pas du tout l'importance économique du Bénélux. Les chiffres sont éloquents: je crois avoir entendu dire que le chiffre d'affaires du Bénélux