De l'épigramme.
Suite.
Nous avons dit, dans la seconde partie de cet article, que les médecins et les avocats avaient eu leur part dans la distribution des épigrammes; en voici une autre preuve:
Cléon exerce un double état:
On le voit, tour à tour, médecin, avocat.
D'où lui vient, s'il vous plaît, cette étrange manie?
- C'est pour avoir, dit-il, et la bourse et la vie.
Cependant il est peu d'états, sur ce globe satirique, qui aient moissonné autant d'épigrammes que les auteurs, tant poètes qu'historiens, grammairiens, journalistes, etc., etc. Le plus redouté des critiques, du temps de l'Empire, le célèbre Geoffroi, fut en butte à mille pointes que lui décochaient les auteurs blessés et les comédiens au désespoir. On fit circuler à Paris son épitaphe en quatre lignes, qui avaient leur côté sévère et leur côté juste; la voici:
Ci-gît Geoffroi. Sa morgue et sa censure
En imposaient à de pauvres esprits:
Il fut utile à la littérature,
Comme les vers sont utiles aux fruits.
Ce qu'il y a de singulier, c'est que cette épitaphe était un don entre vifs, car Geoffroi n'était pas mort lorsque cette épigramme fut expédiée à tous les journaux de la capitale de France. L'auteur de ces vers eut soin de garder l'anonyme. C'était grande prudence, s'il avait un nom dans la littérature; c'était peine inutile, s'il était une des mille et une sentinelles perdues dans le camp littéraire de ce temps-là.
La tâche des publicistes est aujourd'hui bien difficile: on en est venu au point de ne rien se concéder l'un à l'autre. Ce ne sont pas les écrivains qui se disent: passez-moi la casse, je vous passerai le séné: chaque parti est exclusif, et chacun ne réclame la liberté d'écrire que pour lui et ses amis. L'empire de l'opinion est tellement retréci, tellement borné, qu'il n'est plus guère possible d'y habiter en repos. Un tel état de choses a dû amener de nos jours des combats à outrance; et c'est ce que l'on voit, à quelques exceptions près, aux quatre coins de l'Europe. Au milieu de toutes ces polémiques politiques et littéraires, le satirique décoche quelques traits dans la mêlée, sans beaucoup corriger les champions en lice. Voici une des meilleures épigrammes que l'on ait faites sur les disputes de deux écrivains:
Ta plume, en injures féconde,
N'écrit que pour l'argent; moi, j'en fais peu de cas,
Et j'écris pour l'honneur. - C'est vrai, dit Cléophas;
N'est-il pas naturel que chacun, en ce monde,
Cherche à gagner ce qu'il n'a pas?
Legouvé, le bon, l'estimable Légouvc, étonné de n'avoir jamais fait d'épigramme, dans un moment de mauvaise humeur, s'écriait:
Que de coquins, dans cette ville,
Monsieur Harpon, sans vous compter!
- Monsieur, cessez de plaisanter;
Vos discours m'échauffent la bile.
- Déridez ce front mécontent;
Monsieur, je vais changer de style:
Que de coquins, dans cette ville,
Monsieur Harpon, en vous comptant!
Le trait est naïf et sent le bonhomme; il rappelle le mot du même auteur, après avoir reçu chez lui, dans une maladie, le prêtre qu'il avait fait appeler: ‘j'aime cet homme-là, disait-il; il m'a parlé de l'enfer comme un ange.’
Le besoin d'aiguiser une pointe, et de la lancer sans but en vue, a engagé plusieurs auteurs à s'exercer dans ce genre d'escrime sans adversaire connu; en voici quelques exemples; les applications sont réservées aux malins: