le but de tarir les sources de la misère....j'ai aimé le peuple et je l'ai senti misérable comme peu l'ont senti misérable, car j'ai porté ses souffrances comme peu les ont portées.’ Son expérience de la grande et simple fidélité du peuple, son estime pour ses forces morales, il l'avait puisée dans sa vie même, tout jeune, à la mort de son père, puis plus tard dans une heure sombre, après l'échec de son premier asile d'enfants à Neuhof, deux fois de braves servantes étaient intervenues comme sauveurs dans sa vie; à la seconde, il soumettait ses écrits; en elle l'âme du peuple était près de lui. ‘Je me retournerais dans ma tombe et je ne pourrais pas être heureux au ciel, si je n'étais pas certain qu'après ma mort, elle sera plus honorée que moi-même; car, sans elle, il y a longtemps que je ne serais plus.’ L'expérience lui avait appris les trésors de sagesse des humbles: ‘la détresse et les nécessités de la vie contribuent à faire saisir aux hommes les rapports réels des choses.’
Aussi c'est pour les riches et les pauvres qu'il déplore l'éloignement où les tiennent les uns des autres les moeurs païennes de notre temps quand, le coeur oppressé, il se demande: ‘Pourquoi si peu voient-il la misère?’ il répond: ‘c'est parce que ceux qui ont le plus besoin d'aide vivent trop au-dessous de ceux qui seraient le plus en état de les aider.’ Combien petite est la différence du puissant à celui qui mendie au bord du chemin, combien ils sont pareils essentiellement...Non le fils du misérable, de l'homme perdu, du malheureux n'est pas là seulement pour faire tourner une roue dont le mouvement doit élever un fier bourgeois, non ce n'est pas pour cela qu'il est là! Combien mon coeur se révolte à cet abus de l'humanité!
Et si grande est sa foi dans la culture des forces bonnes qu'il en arrive au grand scandale de nos temps d'hygiène à ne craindre pour les enfants pauvres, ni les habits et les demeures malpropres, ni le travail prolongé, ni l'humidité de la chambre de tissage: ‘Ce n'est que par sa force à supporter facilement le mal que le pauvre peut s'élever à le vaincre et à le dominer; en éteignant en lui le vain désir de paraître qui ne lui convient pas, je l'élève à la force de la grandeur intérieure qu'il a le droit de revendiquer et au sein de l'abaissement de ses conditions extérieures, je lui donne le sentiment de sa dignité, il se sent lui-même un homme dans tout le sens du mot.’
On reste confondu de voir dans combien de domaines Pestalozzi se montre un précurseur. Cent ans avant que naisse le mouvement antialcoolique, que de fortes paroles dans ‘Léonard et Gertrude’ contre cette servitude de l'homme: ‘Le tondeur dit à Hummel, le sous-bailli aubergiste: Maître bailli, ça ne doit pas vous étonner qu'on puisse beaucoup travailler de ses deux mains et qu'on ne gagne cependant que peu; mais qu'en ne faisant rien de ses deux mains on puisse gagner beaucoup d'argent, cela ne devrait pas vous étonner.’ Et ce cri de Gertrude victime: ‘O Seigneur, si vous saviez comme un seul soir dans ces maisons (auberges) peut amener les gens sous le joug et dans les embarras dont il est presque impossible de sortir!’
La question du crime, prenant racine dans la vie morale et économique du peuple, le pré-occupe aussi: ‘Image de la justice, aveugle des yeux, sourde des oreilles et paralysée des pieds, je ne veux plus du tout parler avec toi!’ Et cent ans avant qu'on commence à appliquer la reforme pénale, il s'en fait l'éloquent défenseur: ‘La prison, la maison de correction ou de travail ne sont et ne doivent pas être autre chose que les écoles conduisant l'homme égaré dans la voie et l'état où il aurait été sans son égarement.’
Et l'injustice n'est-elle pas à la base du crime? ‘Nos législations se sont élevées à une telle hauteur qu'il leur est impossible de penser aux hommes. Qui ne jouit pas des biens de ce monde est d'avance oublié. Il est certain....qu'on laisse accumuler aux riches leur possession d'une manière qui remplit le monde d'êtres misérables, profondément tarés. C'est vrai aussi quand les conséquences de cette corruption du peuple deviennent visibles, alors on jette la faute sur ceux qui ont été corrompus, et non sur ceux qui les ont corrompus et continuent grâce à leurs privilèges à organiser mille circonstances dans lesquelles le peuple doit nécessairement devenir mauvais.’