De Gulden Passer. Jaargang 34
(1956)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Plantin, Granvelle et quelques documents inédits ou non publiés dans la Correspondance
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nous retrouvons l'inscription sous la date du 21 mars 1549 après PâquesGa naar voetnoot(1). Plantin, originaire de la région de Tours, est donc devenu citoyen d'Anvers en 1550. Inutile de dire que ces mêmes documents réfutent la thèse suivant laquelle le père de l'imprimeur aurait appartenu à la noblesse. Malheureusement, on ne relève nulle trace en Touraine du père de Plantin. Les registres d'état civil de Saint-Avertin, lieu de naissance présumé de Christophe, conservés aux Archives départementales d'Indre-et-Loire à Tours, ne commencent qu'en 1576 et n'ont trait, presque exclusivement, qu'à des baptêmes. Aucune mention de Jean, le père, ou de Christophe, le fils. Toutefois on rencontre dans ces registres la présence de nombreux Plantin et des Jean qui appartenaient à des générations plus jeunesGa naar voetnoot(2). Il est donc possible que Christophe soit originaire de Saint-Avertin ou d'une localité voisineGa naar voetnoot(3). Autre détail intéressant: l'extrait du Vierschaarboek du 11 juillet 1552 prouve que Plantin, à peine arrivé à Anvers, a failli quitter la métropole. En effet, cet extrait fait suite à l'ordonnance du 16 octobre 1551, à celle du 28 janvier et à l'ordonnance du magistrat anversois du 8 juillet 1552, obligeant une certaine catégorie de Français à retourner en France. Répondant à l'hostilité de Henri II, qui a conclu une alliance avec l'électeur Maurice de Saxe et s'apprête à envahir nos provinces, Charles-Quint exige que les ressor- | |
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tissants français résidant aux Pays-Bas produisent un certificat attestant leur qualité de citoyen ou leur droit de résidence. Plantin remplit les formalités requises et n'est point inquiété. Cependant une partie de ses compatriotes, résidant à Anvers, se voient forcés de quitter les Pays-BasGa naar voetnoot(1). Faut-il en déduire que déjà à ce moment Plantin avait acquis l'appui ou la faveur de quelque personnage important, de Gérard Gramaye, receveur d'Anvers, de Cornelius Schrijver (Scribonius Grapheus), greffier de la ville, ou du conseiller de Charles-Quint, Antoine Perrenot, évêque d'Arras, plus tard cardinal de Granvelle? Peut-être. Quoiqu'il en soit, on sait que Philippe d'Espagne, accompagné de son père et des grands dignitaires de la Cour, fit son entrée solennelle à Anvers en 1549 et que Plantin dut au cardinal et à Gabriel de Çayas, secrétaire de Philippe II, une grande partie de sa fortune. Cela ressort de la correspondance de Çayas, qui a été publiée par Rooses et Denucé, et de celle de Granvelle, dont nous avons retrouvé aux Archives de Simancas 35 copies de lettres adressées à PlantinGa naar voetnoot(2). C'est à cette correspondance et aux relations de Granvelle avec Plantin que nous voulons nous arrêter un instant. Quoique les lettres, que nous venons de citer, soient postérieures au départ de Granvelle, en 1564, et que dans la correspondance de Plantin on ne rencontre le nom du prélat qu'à partir de l'année 1562, il est certain que Granvelle s'est adressé à l'imprimeur bien avant cette date. Résidant à Bruxelles, à Malines ou au château de Cantecroy-Mortsel, près d'Anvers, Granvelle, qui était doué d'un esprit ouvert à toutes les études et à tous les progrès de l'art et de la science, a dû apprécier la valeur des publications plantiniennes, telle La magnifique et sumptueuse pompe funèbre faite aus obsèques de l'Empereur Charles Cinquième, célébrées en la vile de Bruxelles le XXIX jour du mois de décembre M.D.LVIII, par Philippes Roy Catholique d'Espaigne, son fils, imprimée en 1559. D'autres publications ont dû également retenir son attention: Un brief et vray | |
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récit de la prinse de Térouane & Hedin, avec la bataille faite à Renty: & de tous les actes mémorables, faits depuis deux ans en ça entre les gens de l'Empereur et les François, par Jacques Basilic Marchet, signeur de Samos. Traduit de latin en françois, 1555, et le poême latin écrit à l'occasion de l'avènement de Philippe II, par Corneille van Ghistele d'Anvers, sous le titre Ad Philippum Divi Caroli V Caesaris filium... Carmen gratulatorium... 1556. Ces ouvrages, en effet, traitent d'événements auxquels l'évêque d'Arras avait été intimement mêlé en sa qualité de ministre de Charles-Quint et de Philippe IIGa naar voetnoot(1). Faut-il s'étonner dès lors si parmi les rares épaves de la bibliothèque de Granvelle, conservée à la Bibliothèque municipale de Besançon, nous avons découvert un exemplaire de la Pompe funèbre, que nous venons de citer?Ga naar voetnoot(2). Sans doute cet ouvrage est-il entré dans la bibliothèque du prélat en même temps que deux autres travaux plantiniens publiés en 1559: Encomium Galliae Belgicae G. Altario Carolate authore: accesserunt et alij aliquot eiusdem versiculi, dans lequel il y a quelques pièces en l'honneur d'Antoine Perrenot, et La paix venue du ciel, dédiée à Monseigneur l'evesque d'Arras, avec le tombeau de l'empereur Charles V, par G. des Autelz, gentilhomme charoloys. Hélas, il n'existe plus de trace de ces deux ouvrages dans la bibliothèque bisontine. Par ailleurs, Christophe Plantin était en relations étroites avec Etienne Pighius de Kampen, qui fut pendant plus de quatorze ans secrétaire et bibliothécaire d'Antoine Perrenot de Granvelle. En 1561, le typographe publia Tabula Magistratuum Romanorum per Stephanum Pighium Campensem, un tableau avec un volume de commentairesGa naar voetnoot(3), dont il avait obtenu le privilège le 21 janvier de la | |
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même année. Antoine Perrenot s'intéressait vivement aux publications d'Etienne Pighius, son ami. Pourquoi donc ne se serait-il pas intéressé à Christophe Plantin, cet homme remarquable, qui, dès 1559, c'est-à-dire après avoir exercé son métier pendant cinq ans seulement, était devenu le premier des imprimeurs anversois, tant par la qualité que par la quantité de ses publications? Ajoutons qu'en général, avant d'imprimer un livre, Plantin ne se faisait pas faute de demander le privilège de la Cour ou l'autorisation des Conseils compétentsGa naar voetnoot(1). Or, rien ne se passait à la Cour sans que Granvelle ne le voulût ou n'en fût au courant; aucune décision importante du Conseil privé n'était valable si elle n'était sanctionnée par son président, Viglius de Zuichem, l'alter ego de Granvelle, qui n'avait pas l'habitude d'agir sans consulter le prélat. Faisons remarquer encore que dans l'Encomium Galliae Belgicae de 1559, on rencontre quelques lignes à l'adresse de Viglius. Le plus ancien des documents anversois qui se rapportent aux relations de Granvelle avec Christophe Plantin date du mois de février 1562. Le 25 janvier de cette année, le typographe reçut le privilège pour la Réformation de la confession de la foy que les ministres de Genefve presenterent au roy très chrestien, en l'assemblée de Poissy, par Claude de Sainctes. En février 1562, Plantin inscrit dans ses registres qu'il a publié le livre ‘par le commandement de Monsieur Polytes,Ga naar voetnoot(2) lequel l'a baillé imprimer pour Monseigneur d'Arras’. En outre il y a la lettre adressée à Jean Moflin, chapelain de Philippe II, dans laquelle le typographe écrit au sujet des Ordonnances de la Thoyson d'Or. Constitutiones clarissimi atque excellentissimi ordinis Velleris AureiGa naar voetnoot(3) qu'un nommé Guillaume Silvius, ‘entendant que Zayas, StrellaGa naar voetnoot(4) et autres bons signeurs et amis m'avaient tellement avancé vers Sa Majesté que je devais être | |
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déclaré son imprimeur royal, fit, moy estant à Paris, imprimer le livre de la Toison d'Or en mon logis, et puis le porta à la Cour, là, où sous la couleur qu'il eust imprimé si bel ouvrage, il obtint le signe du roy, avec lequel venant après (comme lui m'a confessé depuis) pour en avoir le sceau, Mgr le cardinal de Grandvelle, pour lors évêque d'Arras, le luy refusa disant que Sa Majesté entendoit que ce fust Plantin’Ga naar voetnoot(1). Vers cette époque encore nous notons d'une part le Carmen pro vera medicina. De lue pestilenti, additis ab authore in hoc ipsum scholiis. Elegiarum liber unus, authore G. Ayala, D. medico, avec une série de Popularia epigrammata medica ad reverendissimum et illustrissimum cardinalem Granvellanum auctore G. Ayala, et d'autre part L'enseignement des paroisses contenant familiers canons des Evangiles de tous les Dimanches de l'An, oeuvre tresutil aux pasteurs des ames, divisé en trois livres et parties, ou la variante Expositions sur les epistres de tous les Dimanches de l'an pour l'instruction de toutes paroisses, oeuvre tresutile et necessaire aulx Pasteurs des ames, divisé en deux livres & parties, par F. Adrien du Hecquet, religieux de l'ordre des Carmes du couvent d'Arras, docteur en théologie, livres publiés en 1562, in-8o, avec dédicace à Antoine PerrenotGa naar voetnoot(2). Tout cela prouve que Granvelle s'est intéressé dès les premières années à Christophe Plantin et qu'il le protégeait. Malheureusement, la carrière du typographe, si brillamment commencée, est interrompue par une crise. Au commencement de 1562, pendant un voyage qu'il fait à Paris, Plantin est accusé d'avoir imprimé un livre suspect, intitulé Briefve instruction pour prier, paru sans nom d'éditeur, mais dont l'aspect ne laisse aucun doute quant à son origine. Aussitôt Marguerite de Parme ordonne à Jean van Immerseel, margrave d'Anvers, de faire une enquête, tandis que Viglius et l'inquisiteur Josse Ravesteyn avertissent le cardinal de Granvelle et prennent les mesures qui s'imposent. Van Immerseel trouve des preuves accablantes et arrête trois ‘compagnons’: Jean d'Arras, | |
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Jeh an Cabaros de Gascogne et un certain Bartholomé de Paris. Mais Plantin invoque assez plausiblement un alibi et prétend que le travail s'est fait à son insuGa naar voetnoot(1). Afin d'empêcher la confiscation de ses biens, il les fait saisir par quelques amis, qui se disent ses créanciers. Dans l'entre-temps, l'instruction judiciaire n'ayant constaté à sa charge aucun fait contraire à la religion catholique, Plantin peut rentrer aux Pays-Bas. La tourmente passe sans l'entraîner dans ses tourbillons. Un peu plus tard l'imprimeur s'associe avec les Bomberghe, Jacques de Schotti et le docteur Goropius Becanus, qui lui fournissent de quoi réorganiser ses ateliers et de donner une plus grande extension à ses affaires. On peut se demander si, entretemps, le cardinal de Granvelle a continué d'entretenir des relations avec le typographe. Aucun document ne nous permet de répondre affirmativement à cette question. Il est probable cependant que ces relations, s'il y en eut, se sont réduites à peu de chose. Les difficultés, qui avaient assailli le cardinal pendant les dernières années de son séjour en Flandre, lui avaient sans doute laissé fort peu de temps pour s'occuper des lettres, des sciences et des arts. En 1565 nous notons une dédicace à Granvelle dans le beau livre Hadriani Junii medici emblemata ad D. Arnoldum Cobelium. Eiusdem aenigmatum libellus ad D. Arnoldum Rosembergum, et dans De Nativitate Domini Nostri Jesu Christi ex secundo capite D. Lucae evang. docta et pia Èxplicatio. Authore Henrico Luytenio, sacrae Theologiae Baccalaurio, et ecclesiae metropolitanae Mechliniensis Canonico, mais ce n'est que plus tard que le cardinal se fera de nouveau valoir comme protecteur de Plantin. Nous regrettons de ne pas connaître la nature des rapports entre Antoine Perrenot et Christophe Plantin de 1562 à 1565, d'autant plus que ces rapports auraient pu nous renseigner sur l'attitude prise par l'imprimeur à l'égard de la réforme. On dit que ce n'est pas sans raisons que Plantin a été vexé à cause de ses opinions religieuses et qu'il a figuré sur la liste des suspects, en même temps que Grapheus, | |
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les van Bomberghe et Goropius Becanus. Après les démêlés relatifs à la Briefve instruction pour prier, Marguerite de Parme ordonne à Plantin de s'expliquer au sujet de l'Instruction chrestienne de Pierre Ravillian, dont l'orthodoxie semble suspecteGa naar voetnoot(1). La gouvernante condamne également les Pseaumes de David, mis en rime françaiseGa naar voetnoot(2), tandis que dans son rapport du 2 février 1566, adressé à Jean van Immerseel, elle se fait derechef l'écho des accusations dirigées contre l'imprimeurGa naar voetnoot(3). Plantin était affilié à la Famille de la Charité et entretenait des relations avec Augustin van Hasselt, qui fut chargé d'imprimer des livres suspects ou hétérodoxes à VianenGa naar voetnoot(4). Dans sa correspondance avec Gabriel de Çayas, enfin, il se montre particulièrement inquiet au sujet de l'attitude que les milieux gouvernementaux ont prise à son égardGa naar voetnoot(5). Granvelle était-il au courant de ce qui se passait à l'imprimerie plantinienne? Nous n'en doutons pas. Cependant le prélat n'est pas un fanatique. A l'exemple des grands seigneurs de son époque, il fait preuve d'une indulgence parfois excessive envers les savants, les artistes et les écrivains. Sa modération va souvent jusqu'à excuser les idées réformistes de ses protégés. Lorsque Mercator est accusé de luthéranisme, Granvelle continue à entretenir des relations avec luiGa naar voetnoot(6). En 1558, malgré les instances du pape, il ne veut pas qu'on censure les ouvrages d'Erasme et quelques années plus tard il s'éfforce de ménager Baius et ses adhérentsGa naar voetnoot(7). Il défend contre | |
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l'Inquisition l'artiste italien Pompeo Leoni et obtient la délivrance du peintre flamand Guillaume Coxcie. S'étant lié à Rome, avec des suspects, cet artiste avait été, en 1567, condamné par le tribunal du Saint-Office à dix ans de galères. Plus tard encore, lorsque Plantin prendra le parti des États et imprimera certaines lettres dirigées contre GranvelleGa naar voetnoot(1), celui-ci ne se fera pas faute de prendre la défense du typographe. Sans doute était-il convaincu que Plantin, tout en se compromettant à plusieurs reprises, n'avait jamais voulu renier le catholicisme ou l'autorité du roi. Mais ne nous attardons pas à cette question. Ce n'est qu'après le départ du cardinal des Pays-Bas que ses rapports avec Plantin deviennent vraiment intéressants. Vers la fin de l'année 1565, après son exil en Franche-Comté, Granvelle avait été envoyé à Rome par Philippe II. Il parvint vite à y jouer un rôle important, ce qui devait favoriser les projets de Christophe Plantin. A partir de l'année 1566, en effet, la correspondance de l'imprimeur nous montre le cardinal à Rome, occupé de toutes les éditions plantiniennes importantes: Laertii Diogenis de vita et moribus philosophorum... opera Joannis Sambuci, Hieronymi Seripandii commentarius in Epistolam Pauli ad Galatas, Virgilius collatione scriptorum graecorum illustratus... opera et industria Fulvii Ursini, Valerii Maximi dictorum factorumque memorabilium libri IX... per Stephanum Pighium, Carmina novem illustrium feminarum... ex bibliotheca F. Ursini, Eunapius Sardianus de vitis philosophorum et sophistarum... e bibliotheca Joan. Sambuci, Themis Dea, seu de Lege divina Stephani Pighii, Pauli Leopardi Isembergensis Furnii... libri viginti, Florum et coronariarum odoratarumque nonnullarum herbarum historia Remberto Dodonaeo... auctore, S. Thomae Aquinatis summa totius Theologiae, Laurentii Gambarae Brixiani poemata, Jo. Antonii Viperani de scribenda historia liber, Justi Lipsii Variarum | |
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Lectionum libri IIII... ad illustrissimum et amplissimum Antonium Perrenotum... cardinalem, Joan. Goropii Becani origines Antwerpianae, L. Çoelii Lactantii Firmiani divinarum institutionum libri... ad Antonium Perrenotum, cardinalem, C. Julii Caesaris commentarii, S. Gregorii Nazianzeni apologeticus Constantio Sebastiano Olivetano interprete etc.Ga naar voetnoot(1). Par l'intermédiaire de Stephanus Pighius, son bibliothécaire à Bruxelles, de Maximilien Morillon, son vicaire général à Malines, du seigneur Jean de Malpas, receveur des aluns à Anvers, de Juan Antonio et Leonardo de Taxis, maîtres des postes à Anvers et à Bruxelles, de Juste Lipse et d'autres, Granvelle correspond avec Plantin sur toutes sortes de questions relatives à ses travaux: papier et lettres à employer, illustrations, corrections à apporter etc. Constamment il met l'imprimeur au courant des éditions qui se préparent à Rome et lui transmet ses manuscrits et ses désirsGa naar voetnoot(2). Il fait éditer chez Plantin les livres liturgiques nécessaires à son diocèse de MalinesGa naar voetnoot(3) et s'empresse de recommander l'imprimeur aux cardinaux romains, ses collègues. Tandis que son ami Fulvio Orsini, bibliothécaire d'Alessandro Farnese, attire l'attention de ce puissant prélat sur la remarquable activité du typographe anversois, Granvelle n'a aucune peine à influencer en sa faveur les cardinaux Amulio, Madruzzo, Sirleto, Carafa et le papeGa naar voetnoot(4). Lorsque Plantin désire imprimer la Bible Polyglotte, le cardinal de Granvelle fait comparer à ses frais le texte grec de la Bible avec les manuscrits du Vatican, il suit attentivement l'exécu- | |
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tion de ce travail, envoie le texte corrigé à son bibliothécaire à Bruxelles et ordonne à Morillon de lui faire parvenir la première épreuve imprimée. ‘Que personne ne la reçoive en mains’, écrit Plantin au cardinal, le 24 juillet 1568, au sujet de cette épreuve, ‘elle n'est ni relue, ni corrigée, mais pour le degré que V.I. Srie tient en la chrestienté et le zèle qu'elle porte au bien d'icelle et à l'advancement de toutes sciences libérales, je ne luy ay peu céler’Ga naar voetnoot(1). S'agit-il d'obtenir le privilège l'autorisant à imprimer les bréviaires et missels et autres livres liturgiques, Plantin s'adresse de nouveau au cardinal et à ses intermédiaires à Malines et à Bruxelles et obtient rapidement ce qu'il a demandéGa naar voetnoot(2). Plantin s'apprête-t-il à publier la Somme de saint Thomas, c'est encore Granvelle qui lui donne ses avis. ‘J'ay veu la première feulle de la Somme de saint Thomas, que vous m'avez envoyé’, écrit-il au typographe le 2 janvier 1568, ‘je dictz la part que contient le tiltre, que j'ay monstré à Monseigneur le cardinal Amulio et aultres gens sçavants qui louent grandement vostre diligence et attendront avec grand désir ceste oeuvre, mais il fault que vous regardez de changer ce mot que vous mettez au tiltre à la première ou à la seconde ligne, où vous parlez des pères veteris ecclesie, car comment nous prétendons que l'Esglise d'aujourdhuy soit la mesme que celle que vous appellez vielle, plusieurs s'offenseroient de ce mot, car le nom de vielle présupposeroit quil y aist une nouvelle, et, au lieu de ce, samble que vous pourries dire, de patribus qui vixerunt tempore nascentis ecclesie, que seroit satisfaire à ce que vous prétendez, de monstrer que les fondementz sont prins de l'antiquité... Où vous dictes quicquid in veteris ecclesie patrum monumentis, il fauldroit dire quicquid in veterum patrum ab ipso nascentis ecclesie initio monumentis, ne, si dicas veterem ecclesiam, calumnientur aliqui eam que nunc est novam esse’Ga naar voetnoot(3). Et | |
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Plantin de changer les mots en question et de publier la Somme sous le titre de S. Thomae Aquinatis summa totius Theologiae: In qua quidquid in universis Bibliis continetur obscuri, quidquid in veterum Patrum (ab ipso nascentis Ecclesiae initio) monumentis, est doctrinae notabilis. C'est un détail, sans doute, mais il atteste l'importance des lettres que le cardinal de Granvelle et ses intermédiaires adressent à Plantin. Faut-il s'étonner dès lors que cette correspondance devient de plus en plus volumineuse et qu'elle fourmille de ces petits riens qui caractérisent l'amitié de deux hommes épris du même amour des lettres et de la présentation impeccable des textes? Le cardinal réclame-t-il un livre imprimé plus luxueusement, des marges plus grandes, des caractères d'un dessin ample, des titres éloquents, un papier choisi ou quelque illustration sur cuivre, chaque fois le typographe s'efforce de tenir compte de ses observations et de ses désirsGa naar voetnoot(1). Plantin lui fait dédier un grand nombre d'ouvrages: ‘ANTONIO PERRENOTTO, CARDINALI GRANVELLANO, SINGULARI OMNIUM BONARUM ARTIUM PATRONO’, et généralement lui envoie de ses nouvelles impressions au moins trois exemplaires du ‘milleur papier’, un exemplaire pour la bibliothèque du prélat à Cantecroy, un autre exemplaire pour la bibliothèque de Malines et un troisième exemplaire pour la bibliothèque de Granvelle à Bruxelles, à Rome, à Naples ou à MadridGa naar voetnoot(2) Cela prouve que le typographe continuait à attacher une importance capitale aux bons offices que le cardinal ne cessait de lui prodiguerGa naar voetnoot(3). Il ne manqua guère d'ailleurs d'écrire à ses amis que le puissant prélat s'intéressait à telle ou telle publication: c'était sans doute une façon habile de faire de la publicité. Inutile d'ajouter que l'imprimeur appréciait au même titre l'amitié et la bienveillance de Morillon, de Pighius, de Polytes, de Malpas et des autres intermédiaires du cardinal. Sa correspondance est significative à cet égardGa naar voetnoot(4). | |
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Mais à côté de la correspondance de Granvelle, il y a d'autres lettres inédites ou non publiées dans la Correspondance, qui méritent notre attention, notamment celles que Plantin a adressées à Camerarius de Nuremberg et dont les originaux sont conservés à la Bibliothèque de l'Université d'Erlangen. Ecrites à Anvers ou aux foires de Francfort, ces lettres, au nombre de 17, s'étendent sur plusieurs années et complètent les textes publiés par Rooses et DenucéGa naar voetnoot(1). Comme ces deux auteurs ne donnent que peu de documents relatifs à Camerarius et que les minutes d'Anvers diffèrent des textes d'Erlangen, nous n'avons pas hésité à rassembler les originaux, puisque les spécialistes y trouveront pas mal de renseignements concernant Joachim Kammermeister, père et fils, concernant Plantin et le monde des savants et des lettrés. Qu'elles traitent des éditions plantiniennes citées précédemment, de celles de Clusius, Dodonaeus et Lobelius, que Camerarius semble apprécier davantage, des publications de Becanus, Lipsius, Botallus, Vulcanius, Torrentius, Ortelius ou Guicciardini, ces lettres attestent d'ores et déjà l'importance des rapports que le typographe anversois entretenait avec les humanistes de l'Empire, tout comme la correspondance de Plantin avec Granvelle, MuretGa naar voetnoot(2) PoelmanGa naar voetnoot(3), Çayas et autres atteste l'importance de ses relations en Italie et en Espagne. Si on ajoute à ces originaux d'Erlangen les lettres de Plantin à Sambucus, Blotius et Mercator, conservées à Vienne et à BrêmeGa naar voetnoot(4), en même temps que la correspondance d'Ortelius et de Clusius avec Crato à Craftheim, conservée à la Bibliothèque de BreslauGa naar voetnoot(5), on aura de | |
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quoi étoffer une étude relative à l'influence exercée par le typographe au-delà du Rhin. Par ailleurs, cette correspondance inédite nous procure des renseignements sur les difficultés que Plantin ne cesse de rencontrer à Anvers, notamment lors de la Furie espagnole, et sur son attitude à l'égard des milieux gouvernementaux. S'il déplore les suites néfastes de l'insurrection, il hésite toujours à s'associer directement à ceux qui s'attaquent à l'unité politique et religieuse. A ce sujet encore il faut signaler quelques lettres de Coornhert à Plantin, écrites en 1584 et publiées en 1923 par le professeur BeckerGa naar voetnoot(1). Ces documents se rapportent e.a. aux polémiques du notaire de Haarlem et des ministres réformés concernant le péché originel et d'autres questions importantes. Ils nous apprennent qu'il y avait à Leyde des amis de Coornhert qui n'approuvaient pas sa conduite, estimant que les colloques religieux étaient inutiles. Coornhert nomme ces gens ‘stillezitters’, ‘hen self levers’, et les prie de l'apostropher amicalement et de l'instruire, afin que la conscience nette il puisse garder le silence et ne plus se préoccuper des grandes erreurs qu'il voit dans les différentes églises et sectes. Il n'y a pas de doute que Plantin ne fût du nombre de ces ‘stillezitters’ et ‘hen self levers’, puisque l'opinion de l'imprimeur, suivant laquelle les livres traitant de religion doivent être soumis à la censure du pouvoir politique, paraît funeste à Coornhert. En tout cas est-ce en vain que celui-ci essaye de convaincre son ami que chacun a le droit de critiquer les doctrines religieusesGa naar voetnoot(2). Il ne faut donc pas s'étonner si les anciens protecteurs de Plantin continuent à le défendre contre tous ses détracteurs. ‘Au regard de ce que vous escripvez dudict Plantin’, écrit le cardinal de Granvelle à Jean-François de Taxis, doyen d'Anvers, ‘je me doubte que l'on vous aura mal informé et qu'il y aura de la calumpnie. Car en ce que je l'ay voulu employer contre les Calvinistes, je le tiens fort voluntiers et secret, ny à mon advis luy doibt estre imputé qu'il imprimat quelques fois livretz et escriptz contre le Roy et en faveur des rebelles, pour estre contrainct à ce faire..., et si ay veu lettres | |
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escriptes à aucungs ses amis par luy, que donnent suffisant tesmoignaige du regret qu'il a de ce que se faict contre la religion et contre le service du Roy, duquel il a esté fort bien traicté; et vous sçavez l'opinion qu'a tousiours heu de luy le docteur Arias Montanus, ayans si longuement et si familièrement vescu et conversé ensemble; et n'est pas bien de croire legièrement à tous ceulx, que, pour se montrer bons Catholicques, n'en donnent aultre preuve que de charger aucungs bien souvent à tort’Ga naar voetnoot(1). Et Laevinus Torrentius, tout en regrettant le séjour de Plantin à Leyde, d'ajouter dans une lettre à Montano, écrite le 13 juin 1587, qu'il n'a jamais cessé de soutenir le typographe. Il se porte garant de l'orthodoxie de Plantin et supplie Arias de l'aider à le défendre contre ses ennemis de Madrid. En même temps, il invite son correspondant à demander l'aide financière du roi: ‘...ego quidem nunquam ipsi defui, nec deero quoad vivam, testis ejus innocentiae et probitatis..., quantis possum precibus abs te oro ut amicum juves atque defendas’Ga naar voetnoot(2). Nous croyons que ces témoignages se passent aisément de commentaires. Ils émanent de deux hommes qu'on ne peut soupçonner d'hérésie, mais qui, nourris de l'idéal des humanistes, s'efforcent de bannir de la ‘république chrétienne’ et de la ‘république des lettres’ ce qui doit inévitablement en détruire l'unité: l'esprit d'intolérance absolue. Ils nous rappellent d'ailleurs le texte inscrit sous une gravure anonyme, représentant Georges Cassander, et qui est formulé comme suit: Ik ben Cassanders print. 'K zagh veel van 't Oudt voor waan-
Voor wan-voor by-geloof, van 't Nieuw voor neuswijs aan.
Uit scheuring scheuring sproot. Hier tradt ik tusschen beiden:
Grondtpunten zijn alleen de baakens, die ons leiden
Tot Godt door liefd'en vreê. Op't noodigh komt 'et aan.
Wanneer zal eens in't endt de kerk dien wegh in slaan?Ga naar voetnoot(3).
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Remplaçons dans ce texte le nom de Cassander par celui de Plantin et nous retrouverons sans doute les principes qui l'ont guidé comme ceux qui ont guidé une grande partie de ses amis et des ses protecteursGa naar voetnoot(1). Ce sont là quelques détails de la vie et de l'activité de Christophe Plantin, sur lesquels il était utile d'attirer l'attention. On en trouvera d'autres dans notre Supplément à la Correspondance publiée par Rooses et Denucé, qui paraîtra prochainement. Puissent-ils contribuer à mieux juger et à mieux apprécier les mérites du grand imprimeur. |
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