Septentrion. Jaargang 35
(2006)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Telle une tumeur au cerveau:
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Willem Frederik Hermans (1921-1995) dans sa maison bruxelloise, détail (Photo Kl. Koppe).
inconscients de l'agir humain. La voie empruntée par les surréalistes, qui ont fait du psychanalyste viennois leur saint patron, n'a pas manqué de fasciner le romancier néerlandais tout au long de sa vie. Nombre de nouvelles et de poèmes de sa première période témoignent de cette influence. Sa Weltanschauung, W.F. Hermans l'a peu à peu élaborée au sein de sa famille qui se composait, outre sa propre personne, de parents ringards près de leurs sous, ainsi que d'une soeur, Corrie. Dans sa Fotobiografie (1969), collection de photos de proches accompagnées de légendes, il présente son aînée de deux ans comme une fille qui prend systématiquement parti en faveur de leurs parents quand lui-même est en conflit avec eux. Peu après l'invasion allemande de mai 1940, Corrie se suicida en même temps qu'un cousin plus âgé qu'elle. Un événement bouleversant dont W.F. Hermans devait traiter dans son roman Ik heb altijd gelijk (J'ai toujours raison, 1951). Une fois la guerre finie, W.F. Hermans choisit de consacrer sa vie à l'écriture. Il abandonne ses études de géographie physique - commencées en 1941 - avant de finalement les reprendre. Emporté par son enthousiasme, il écrit poèmes, critiques, essais, nouvelles et romans. Quiconque ne montrait pas la même frénésie littéraire suscitait sa colère. Sort peu enviable d'ailleurs, car le romancier Hermans se doublait d'un polémiste mordant. Aussi s'est-il fait de nombreux ennemis. Dès le début toutefois, son talent hors du commun a été reconnu. Pour subvenir à ses besoins, W.F. Hermans termine ses études et accepte un poste à l'université de Groningue. Il soutient sa thèse en 1955. Une polémique suscitée par son emploi du temps d'enseignant s'envenime au point de déboucher sur des questions posées en séance à la Chambre des députés; en 1973, il décide de démissionner alors même qu'une enquête l'a lavé de tout blâme. Il s'établit à Paris, ville à laquelle il portait un amour presque aussi grand qu'à la littérature françaiseGa naar eind(1). Céline était un de ses auteurs de prédilection. En 1991, il déménage à Bruxelles, qu'il a immortalisée dans son deuxième roman, De tranen der acacia's (Les Larmes des acacias, 1949). C'est dans cette ville qu'il a passé les dernières années de sa vie. Quand il quitta son pays, W.F. Hermans était considéré comme l'un des écrivains majeurs des Pays-Bas, si ce n'est le plus grand. Il était déjà l'auteur d'une oeuvre imposante; qui plus est, il avait eu l'occasion de s'exprimer sur ses conceptions en matière littéraire dans de nombreux essais et interviews. Conformément au nihilisme épistémologique qui est au coeur de son oeuvre, il refuse le réalisme littéraire au motif que la réalité ne saurait être rendue de manière authentique. Selon lui, la réalité revêt une nature conceptuelle: tout homme s'en fait une idée propre, en se | |
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basant le plus souvent sur des données incomplètes. La plupart des gens partagent des visions conventionnelles de cette réalité, visions qui ne résistent pas à une analyse poussée. La vérité historique n'existe pas - relevons que W.F. Hermans ne s'est jamais embarrassé de cette conviction quand il s'agissait de polémiquer. C'est à de telles visions conventionnelles qu'il recourt dans ses livres pour atteindre son lecteur avant de démontrer qu'il est impossible de les défendre. Il n'en va pas autrement dans De donkere kamer van Damokles, roman salué par presque toute la critique et qui permit à son auteur de toucher un large public. C'est cette oeuvre dont les Éditions Gallimard vont publier la traduction avant sans doute d'autres titres. A première vue, il ne s'agit que de l'histoire tragique d'un homme insignifiant, Henri Osewoudt, qui, au cours de la deuxième guerre mondiale, se trouve mêlé aux activités de la Résistance avant d'être accusé de faits de collaboration une fois les Pays-Bas libérés. Dorbeck, l'homme qui lui donnait des ordres, son sosie, restant introuvable, Osewoudt ne parvient pas à prouver son innocence. Une multitude de détails authentiques ainsi qu'un style détaché accentuent la teneur réaliste de l'ensemble. Toutefois, personne n'étant capable d'établir la vérité concernant Dorbeck, l'identité d'Osewoudt demeure incertaine. S'il est impossible de connaître la réalité historique, on ne saurait en conséquence la décrire, ce qui équivaut à la faillite du réalisme romanesque. ‘Nihilisme créatif, compassion agressive, misanthropie totale’: ce sont là les mots par lesquels W.F. Hermans termine sa nouvelle Het grote medelijden (La grande compassion) qui, en plus d'avoir Paris pour cadre, constitue un beau condensé de la Weltanschauung de l'auteur. Il n'a cessé de répandre cette vision nihiliste des choses avec vitalité et humour. Ses oeuvres complètes, dont le premier volume a paru en 2005 aux Éditions De Bezige Bij d'Amsterdam, en témoignent. A ses multiples facettes et talents, W.F. Hermans a toujours marié une curiosité sans borne. C'est lui qui, dans les années 1960, a fait connaître le philosophe Ludwig Wittgenstein aux Pays-Bas. Les idées de ce dernier sur les rapports entre langue et monde sont proches de celles défendues par W.F. Hermans: selon lui, la langue est un véhicule trompeur. Ajoutons que l'écrivain se doublait d'un photographe fanatique et d'un fabuleux collectionneur de machines à écrire. D'ailleurs, toutes les machines l'intéressaient. On peut même avancer que ses romans sont construits comme des machines dont chaque pièce remplit une tâche bien précise, le but ultime étant de convaincre le lecteur que la vision véhiculée est la bonne et, par conséquent, de faire que l'auteur jouisse d'une reconnaissance qu'il n'aurait pas sans la littérature.
G.F.H. RAAT Attaché à la section de langue et de littérature néerlandaises de l'‘Universiteit Amsterdam’. Adresse: Mariënstein 113, NL - 1852 SJ Heiloo. Traduit du néerlandais par Daniel Cunin. site officiel: www.willemfrederikhermans.nl site non officiel: www.wfhermans.net |
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