Septentrion. Jaargang 28
(1999)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Eddy du Perron (1899-1940) dans le domaine de la famille Petrucci en Toscane, juin 1923, collection madame C. Baeyens-Wolfers.
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Sous l'oeil des écrivains:
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Maurice BarrèsDans cet essai, je me propose d'appeler l'attention sur l'importance que revêtaient aux yeux du jeune Du Perron un certain nombre d'écrivains français. Il y a quelques années, on a retrouvé la correspondance de Du Perron à ses amies Clairette Petrucci (1922-1923) et Julia Duboux (1923-1926). Ces lettres nous permettent d'affiner notre connaissance de ses années de formation littéraire en Europe. L'histoire commence par une croisière à destination de l'Europe en août 1921. Comme elle prenait trois semaines, notre aspirant-homme de lettres passait l'essentiel de son temps à lire. Outre La vita nuova de Dante Du Perron lut Sous l'oeil | |
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Eddy du Perron comme amateur bohémien, dans l'atelier de son ami Paul Jeffay, 1922, collection mr. A.E. du Perron.
des barbares (1888) de Maurice Barrès. Cette oeuvre de jeunesse de Barrès traite des phases que parcourt un jeune homme de vingt, vingt et un ans dans sa confrontation avec le monde. C'est le premier volet d'une trilogie intitulée Le culte du moi. Avec un choc, Du Perron crut s'y reconnaître. Voici ce qu'il écrivait en 1922 à ce sujet: ‘Ce livre a fait une grande impression sur moi par la vérité de sa décourageante philosophie; je ne regardais plus le style, ni l'intrigue (qui n'existe pas), la Pensée annulait tout. On rencontre dans sa vie quelques oeuvres qui vous changent: “Sous l'oeil des Barbares” était un tel livre pour moi. Après l'avoir lu je n'ai plus accepté une dispute que pour m'amuser, pour l'art de faire des phrases convaincantes, mais sans conviction. Quand on se rend compte que les choses, les idéees, les principes changent selon les dispositions qui changent à leur tour selon les circonstances; qu'une femme amoureuse voit presque toute chose autrement que même la femme pas amoureuse, et que c'est ainsi avec beaucoup de messieurs avant et après leur dîner! Et pourtant on dispute et on aime ses “convictions” même quand on sait qu'elles ne valent rien du tout parce qu'elles sont affectées et qu'elles ne vaudraient encore rien si elles ne l'étaient pas. C'est à vous rendre mélancolique’Ga naar eind(1). Barrès rédigea plus tard une introduction à ses romans, où il dénonçait le déclin de la morale, de la religion et du sentiment national dont il était témoin. Puisqu'on ne pouvait plus tirer de règles de vie de cet héritage en faillite, en l'attente de nouvelles certitudes, on | |
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devait s'en remettre à l'unique réalité tangible: celle du moi propre. Le culte du moi selon Barrès consiste en une défense et une recréation quotidienne du moi. En effet, le moi n'est pas une entité immuable, mais une ‘réalité tangible’, tandis que ‘l'univers n'est qu'une fresque qui fait belle ou laide’Ga naar eind(2). Jeune homme habité de Sturm und Drang, qui attendait de l'Europe et surtout de Paris une initiation à la vie véritable, Du Perron reçut de plein fouet la première oeuvre de Barrès; mais par la suite il la trouva trop cérébraleGa naar eind(3). Après sa trilogie, Barrès avait lui-même évolué, rendant leur place aux certitudes qu'apportaient le patriotisme et le régionalisme, rattachant l'individu à la race et à la communauté. Plus tard s'y ajouta une défense enflammée du catholicisme, jugé partie intégrante de l'héritage national. Dans les années 30, Du Perron, lui-même politiquement déniaisé depuis longtemps, réagit avec horreur aux pamphlets de Barrès, mais sans se distancier de l'individualisme de ses débutsGa naar eind(4). La lecture de Sous l'oeil des barbares a confirmé Du Perron dans son attitude individualiste et fortifié son sentiment que la vie était un théâtre de marionnettes. A seize ans, il avait déjà été séduit par le dandysme cynique d'Oscar Wilde. La graine semée par la lecture des oeuvres de Wilde chez cet adolescent rétif germa sous l'influence des prémices de Barrès. Le protagoniste du roman s'avise de l'extrême relativité de la gloire et de la renommée, fondées qu'elles sont sur l'opinion subjective que les autres se forment de vous. La vie est une comédie où chacun doit tenir son rôle. La confiance en son moi propre mène au sentiment extatique qu'on peut affronter l'univers entier. Il veut purifier son Moi ‘des alluvions qu'y rejette sans cesse le fleuve immonde des Barbares’. Et qui sont les Barbares? Ce sont les conformistes: ceux ‘qui ont donné à chaque chose son nom, les sourds, les bien nourris qui ont créé la notion du ridicule contre ceux qui sont différents’Ga naar eind(5). Même si en 1929 Barrès n'était plus aux yeux de Du Perron qu'un ‘ennuyeux arriviste’Ga naar eind(6), huit ans auparavant l'égotisme de cet arriviste répondait merveilleusement bien à son besoin d'auto-affirmation. En Europe, il l'espérait, il pourrait s'épanouir pleinement comme homme et comme écrivain. L'idée que Du Perron se faisait de l'Europe, il la devait essentiellement à la lecture de proses et de poèmes français du xixe siècle. Il était familier des romans ‘de cape et d'épée’. Adolescent, il avait dévoré les oeuvres de Dumas et de Féval jusqu'à se prendre lui-même pour un D'Artagnan. Puis les mousquetaires cédèrent leur rôle de modèle aux bohémiens des célèbres Scènes de la vie de bohème (1835) d'Henry Murger, lues à dix-huit ans, et de toute la littérature montmartroise qu'il avait collectionnée depuis. | |
Jean CocteauLe 30 novembre 1921, Du Perron fit la connaissance d'une jeune mondaine dont l'immense lecture l'impressionna fort. Elle s'appelait Clairette Petrucci (1899-1994). Elle jouerait un rôle important dans sa formation littéraire, mais son amour pour elle resta sans réponse. Les lettres qu'il lui adressa montrent à quel point elle lui servit de caisse de résonance dans la recherche de sa propre identité littéraire. Elle fit plus: elle lui présenta de nouveaux écrivains et osa croiser le fer avec un Du Perron bien souvent pétri de préjugés. Les écrivains favoris de Clairette étaient Oscar Wilde (ses paradoxes la | |
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Eddy du Perron et Clairette Petrucci en avril 1922, collection madame C. Baeyens-Wolfers.
transportaient au septième ciel), l'espiègle Jean Cocteau et l'esthète raffiné Joris-Karl Huysmans, passé d'une pose décadente à une sorte de religiosité mystique. Ils pouvaient se retrouver dans leur prédilection pour Wilde. Au lendemain de leur rencontre, Du Perron lui emprunta Le coq et l'arlequin (1918) de Jean Cocteau, une série d'aphorismes sur la musique et l'esthétique, où Cocteau prend fait et cause pour la simplicité d'Éric Satie et s'en prend à l'influence de Wagner et de Debussy. Du Perron avait lu avec admiration le spéculatif opuscule. Mais quand les Poésies (1921) lui tombèrent sous les yeux, un recueil où Cocteau exprimait ‘le miracle de la vie quotidienne’ dans des vers cousus d'associations spontanées, avec beaucoup de blanc entre les lignes, Du Perron se hérissa aussitôt: ‘Mon admiration pour Jean Cocteau s'est complètement noyée après s'avoir plongé dans la fleuve (sic) de ses vers. C'était un bain fatal, et je crains que ce sera pour votre admiration aussi une suicide, si vous faites de même. Sinon, je compte sur une explication de vous, ce que tout cela signifie. Est-ce que c'est du cubisme dans la littérature? Ou seulement une farce assez grossière?’Ga naar eind(7). Le 8 février 1922, Du Perron écrivit de Nice où il résidait avec ses parents dans le chic ‘Atlantic Hôtel’ une réponse au plaidoyer de Clairette en faveur de Cocteau: certes, elle cite de gentils passages du recueil, mais il se demande si l'on peut vraiment qualifier cela de poésie. Très peu pour lui, le mépris de Cocteau pour la forme, étalé dans une succession de vers plus ou moins réussis, sans virgules ni points ni rien de tout ce qui rend les mots lisibles. Il trouve toutes ces nouveautés passablement would-be et formule sa propre poétique, laquelle au fond ne changerait plus guère. ‘Un artiste vraiment original l'est à travers de toutes les règles, il les domine, il les force à faire sortir son oeuvre avec plus d'originalité’. | |
Valery LarbaudS'il est un auteur moderne qui impressionna profondément Du Perron, c'est bien Valery Larbaud (1881-1957). La lecture d'A.O. Barnabooth. Son journal intime le poussa même à changer d'attitude face à l'existence. Il lut l'ouvrage début juin 1923, au cours d'un voyage en | |
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Italie en compagnie de son bohémien d'ami Oscar Duboux. Le jeune Du Perron s'identifia sur-le-champ à l'auteur (allant jusqu'à porter des panamas comme Larbaud) et à son personnage libertin Archibald Olson Barnabooth. A.O. Barnabooth, roman déguisé en journal imaginaire, était paru en 1913 avec un certain nombre de poèmes et la nouvelle Le pauvre chemisier, censément en tant qu'OEuvres complètes de Barnabooth. Cette publication avait été précédée par une édition bibliophile des Poèmes par un riche amateur ou OEuvres françaises de M. Barnabooth (1908), rassemblant une cinquantaine de poèmes et, déjà, Le pauvre chemisier. Rejeton d'une famille fortunée, Larbaud parcourait l'Europe et s'adonnait à sa prédilection pour la littérature et les langues. L'édition de 1908 comportait une ‘Biographie de M. Barnabooth’ de la main de l'imaginaire biographe X.M. Tournier de Zamble. Pour celle de 1913, il supprima un certain nombre de poèmes et assuma lui-même la qualité d'‘éditeur’. Ces mystifications, fleurant bon le romantisme, inspirèrent à Du Perron une mascarade similaire lors de la parution de son premier roman: Een voorbereiding. Zijnde de cahiers van KRISTIAAN WATTEYN/met een tekening van de schrijver en een voorrede van R. QUESELIUS uitgegeven door E. DU PERRON. (Ébauche. Les cahiers de KRISTIAAN WATTEYN/avec un dessin de l'auteur et un avant-propos de R. QUESELIUS, édités par E. DU PERRON). Du Perron se livrait du reste déjà au jeu des déguisements littéraires avant même de connaître Larbaud. Aux Indes, il avait publié quelques esquisses sous le pseudonyme de Joseph Joséphin, clin d'oeil à un juvénile limier de ce nom rencontré dans les romans de Gaston Leroux. En 1922, c'était le personnage littéraire d'Eric Grave qui naissait de son imagination, suivi en 1924 par celui de Duco Perkens. En écrivant Een voorbereiding (Ébauche), il avait greffé ses personnages sur des gens de son entourage, en un jeu de déguisements littéraires faciles à percer par l'initié. Il y apparaissait lui-même sous les traits de Karel Watteyn, personnage doté d'une solide dose d'autodérision et d'autocritique. Le personnage de Nameno, né en janvier 1923, était un avatar grotesque de lui-même. Il serait donc inexact de ramener la prédilection de Du Perron pour ce carrousel d'identités successives à sa découverte de Larbaud. Stendhal a pu lui servir de modèle; aucun écrivain n'a davantage usé de pseudonymes différents et n'a aussi passionnément projeté les diverses facettes de son propre moi dans ses personnages romanesques. Mais on ignore ce que Du Perron avait déjà pu lire à cette époque de Stendhal, lequel n'entrait pas encore vraiment dans ses canons personnels. Il ne manque d'ailleurs pas d'écrivains du xixe siècle, surtout humoristiques, auxquels Du Perron a pu emprunter l'art de la mascarade et de la mystification littéraire. L'emprunt essentiel de Du Perron à Larbaud, c'est le concept de ‘jeune européen’: le jeune homme cosmopolite, subversif, qui revendique sa liberté intellectuelle, qui, du coup, rejette toute forme de conformisme et craint comme la peste d'être ‘dupe’. C'est un individualiste forcené qui reste à l'écart de la politique. Nous rencontrons aussi chez Du Perron la prédilection de Larbaud pour les voyages et son aversion pour le carcan social, mais le décadent épicurisme de Larbaud et de Barnabooth lui est étranger. Barnabooth est ouvert à tout (‘Oh! Tout apprendre, oh tout savoir, toutes les langues!’Ga naar eind(8)). C'est moins le cas chez | |
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Eddy du Perron avec ‘chapeau Barnabooth’ sur la tour penchée de Pise, mai 1923, collection mr. A.E. du Perron.
Du Perron, même si Pascal Pia pensait que Du Perron, tout comme Larbaud, ressentait ‘le besoin de connaître et d'éprouver toutes sortes d'échantillons d'humanité’Ga naar eind(9). Selon Radboud Kuypers, l'amateur de Larbaud est un jouisseur et un viveur, alors que chez Du Perron on en reste souvent ‘à une attitude cynique souvent un tantinet déplaisante, à une pose forcée dénuée de sentiments’Ga naar eind(10). Mais ce cynisme s'explique par le thème central des textes attribués à Duco Perkens: quelle attitude prendre face à la femme? Les avatars barnaboothiques de Du Perron sont dénués de la ‘désinvolture’, de la facile aisance avec laquelle Barnabooth aborde les femmes. La crispation des personnages de Perkens s'explique complètement par l'angoisse d'être dupe d'une femme, alors que la femme joue en fait un rôle de premier plan dans leur vie sentimentale. Ce n'est pas pour rien que Du Perron soulignera plus tard que ses déguisements antiromantiques et cyniques de cette période étaient en fait des gaillards pourris de romantismeGa naar eind(11). Cela en dit long sur lui-même. Il est du reste inexact que les personnages à la Perkens ne fassent que broyer du noir dans d'incolores chambrettes; ils sont souvent extrêmement mobiles, à l'image de Barnabooth, qui parlait avec horreur de ‘ces gens qui ne voyagent pas, mais qui restent près de leurs excréments sans jamais s'ennuyer’Ga naar eind(12). Certes, à la fin de Het roerend bezit (Les biens meubles, 1924), Nameno se replie sur lui-même, revêtant ‘une rance bure’, mais dans d'autres textes-Perkens (notamment dans les poèmes) le protagoniste sillonne villes et pays pour goûter à l'univers. Tout comme pour Barnabooth, il s'agit alors d'une recherche d'accomplissement personnel qui échappe à tout étiquetage facile, avec un souverain mépris pour ‘des esprits médiocres, qui sont les seuls bien ordonnés, les seuls respectables, enfin la Majorité écrasante, la Voix des passions que l'on doit avoir, chacune en son temps’Ga naar eind(13). Barnabooth n'était pas la seule source d'inspiration de Du Perron: vers l'époque où il découvrait l'oeuvre de Larbaud, il s'enthousiasmait aussi pour Paul Morand (1888-1976), lequel, plus encore que Larbaud, chantait les louanges du cosmopolitisme. Les nouvelles découvertes de Du Perron le détachèrent également de points de vue surannés. C'est ainsi qu'il reconnaissait avoir abandonné l'approche esthétique d'Oscar Wilde: l'essentiel n'est pas le beau styleGa naar eind(14). Stendhal, Balzac et Dostoïevski ont mal écrit et Shakespeare même fort mal | |
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et très souvent! Non, ce qui compte, c'est le contenu réel. Laissons-lui la parole: ‘Ce que j'apprécie de plus en plus dans l'esprit et la littérature modernes, c'est l'absence, le mépris de toute sentimentalité, la faculté de constater froidement (je me souviens que vous n'aimiez pas ce mot), de ne plus regarder - même pas se regarder - à travers des arcs-en-ciel très beaux et très trompeurs’Ga naar eind(15). | |
Un regard cyniqueDu Perron découvrit un regard froid et cynique, surtout sur la sexualité et l'amour, dans deux romans différents qu'il lut vers cette époque: Les civilisés (1905) de Claude Farrère (1876-1957) et Le diable au corps (1923) de l'ami de Cocteau, Raymond Radiguet (1903-1923). Dans la rétrospective de ses lectures de jeunesse, il a déclaré avoir lu Les civilisés à vingt-trois ans. Il vit dans les héros de ces romans une ‘nouvelle variante’ de ses héros de jeunesse: ‘je découvris alors l'indifférence cynique après l'indifférence affectée des étudiants et des bohèmes’Ga naar eind(16). Il ajoute à ce sujet: ‘Barnabooth, qui en un certain sens supplanta Les civilisés, fut le premier raffinement et la première correction effectifs, le “niveau supérieur” en la matière; Jean de Tinan et Le Petit Ami de Léautaud remplacèrent de la même manière Dumas fils et Murger. Au fond, on ne change guère...’ Cette présentation des choses ne correspond pas tout à fait à la réalité. C'est qu'il ne se passa pas tant de temps entre sa lecture des Civilisés et de Barnabooth. Il serait plus juste de dire que les deux romans interpellaient des facettes différentes de sa personnalité que d'affirmer que Barnabooth aurait supplanté Les civilisés par la supériorité de son niveau. Du Perron a affirmé à plusieurs reprises que Les civilisés étaient le seul roman du marin-écrivain Farrère à dépasser de la tête et des épaules une production médiocre par ailleurs, mais il ne lui a jamais consacré un exposé particulier. Dans une présentation d'un roman ultérieur de Farrère, il écrit que ce dernier avec ses Civilisés ‘annonçait Paul Morand en matière de cosmopolitisme décadent’, mais il se garde bien de nous dire en quoi consistait ce ‘cosmopolitisme décadent’Ga naar eind(17). D'où venait son enthousiasme pour ce roman, en dépit de son écriture assez traditionnelleGa naar eind(18)? Il s'explique en grande partie par le cynisme des trois protagonistes et par le rôle important de l'érotisme dans le récit. Le roman se situe en Indochine française et comporte dans la description de l'étouffante atmosphère tropicale bien des éléments reconnaissables, surtout pour un jeune ‘Indien’ lui-même nanti de quelques expériences libertines. Les trois amis de Saïgon, deux marins et un docteur, se sont proclamés eux-mêmes ‘les civilisés’, tandis qu'à leurs yeux les gens vertueux, adaptés, sont les vrais ‘barbares’. Nous nous souvenons que Barrès aussi avait utilisé cette inversion de perspective dans Sous l'oeil des barbares. L'objectif moralisateur de Farrère ne fait pas de doute, mais les débordements des trois amis font l'objet d'une description voluptueuse. Bref, du pain sur la planche pour des chercheurs politiquement corrects en quête d'une image de l'Orient dans les écrits occidentaux! Dans le déplaisir de son amour non partagé pour Clairette, Du Perron a dû apprécier certaines tirades cyniques, comme celle de Torral: ‘J'ai retranché le coefficient | |
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amour de mon équation, parce qu'il dénature à chaque instant l'harmonie du calcul; les termes qu'il multiplie s'en trouvent démesurément augmentés et toute la vie déformée. D'autre part, quelle difficulté, même pour l'homme le plus civilisé du monde que de retrancher l'amour et de conserver la femelle! Le plus simple est de supprimer l'une avec l'autre. C'est ce que j'ai fait’Ga naar eind(19). Torral est le prototype de l'homme qui refuse énergiquement d'être dupe en amour. Pedro Creixams, le camarade montmartrois de Du Perron, se sentait bien quelques affinités avec le personnage sans complications de Torral, mais Eddy Du Perron lui aussi se plaisait à le citer au cours de sa propre période de ‘débauche’, engagée dès qu'il comprit qu'il n'arriverait à rien avec ClairetteGa naar eind(20). Il avait bien assez vécu comme un sacré benêt! Et pourtant, l'absolutisme romantique, pétri de visions héroïques et d'aspiration à l'Unique, resterait une caractéristique fondamentale de Du Perron, supplanté seulement en apparence par la distanciation et le cynisme des créations à la Perkens.
KEES SNOEK Professeur associé de néerlandais à l'Université Marc Bloch de Strasbourg. Adresse: 22, rue Descartes, F-67084 Strasbourg cedex. Traduit du néerlandais par Jacques Fermaut. |
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