(Ballades): de longs entretiens téléphoniques dépouillés de ponctuation qui sont un lieu de discours entre ville et village à propos des choses les plus prosaïques: conversations entre les membres de la famille sur le temps qu'il fait, sur le fait que l'anniversaire de la tante et celui du cousin tombent pour la énième fois sur le même jour, et ainsi de suite. Pour la première fois aussi s'infiltre dans ces textes le dialecte, la langue que l'on parle au village.
La maison, la voiture et ensuite le café sont, dans ce paysage, des endroits qui comptent. Au milieu d'un océan agité, ils sont des îlots qui offrent un havre protecteur. La vitre d'une voiture ou d'une fenêtre opère par ailleurs régulièrement comme un écran se dressant non seulement entre l'extérieur et l'intérieur, mais aussi entre le passé et le présent, l'apparence et l'être, les sentiments et la raison. Tandis que, de derrière la fenêtre, les parents agitent la main en direction de leur descendance qui s'en va, cette descendance se trouve elle aussi derrière du verre, celui de la vitre de la voiture.
‘En être réduit à voir de derrière la vitre.’ C'est par ces mots que commence un poème du recueil Van het balkon (Du balcon, 1983), poème sur un automobiliste qui ne parvient plus à mettre sa voiture en marche. Il se trouve dans un polder, dans un paysage qu'il connaît pour y être déjà venu et qui, malgré les démembrements survenus, lui offre encore comme par enchantement des images de la vie rurale. Comme il cogne inopinément le bouton du lave-glace, des images apparaissent sur le pare-brise comme autrefois celles projetées avec une lanterne magique. Une nappe de brouillard étant tombée, il descend de voiture et se retrouve dans un univers clos, univers des origines. Le brouillard se dissipant, la vie reprend ses droits; ressurgissent alors les dangers qui avaient paru un instant écartés. C'est pourquoi l'homme remonte à bord du véhicule, ‘pour une vie derrière la vitre’. En sorte que le verre n'est pas seulement une fenêtre sur le monde extérieur: elle protège aussi contre les dangers de ce monde. Ainsi, de derrière la vitre, la pensée peut-elle régner.
Dans Van het balkon, qui, à maints égards, est un recueil de transition, Anker tranforme cette fois le balcon d'un appartement en une zone frontière entre le monde et la pensée: on s'y trouve à distance de la rue et du mouvement tout en ayant la possibilité de se retirer à son gré dans le logement, derrière la vitre.
Après ce recueil, les personnages de Robert Anker ont, comme nous l'avons dit plus haut, quitté leur cachette de verre. Depuis lors, sa poésie forme un tout, plus fascinant encore, puisant dans le vécu le plus récent et certaines réflexions, pour déboucher sur la question de l'attitude à adopter dans notre société, sur une nouvelle morale. Le poète Anker n'éprouve aucune honte à en appeler à une conscience qui plonge ses racines dans une culture organique. Quand bien même il conçoit que cet ‘organique’ est devenu depuis lors une curiosité ‘muséable’, la poésie n'en demeure pas moins présente pour nous le restituer presque charnellement et pour nous donner les moyens de vivre, habités par le mal du pays. Un mal qui nous donne de rester vigilants face à l'actualité disloquante.
AD ZUIDERENT
Poète - critique littéraire - professeur de littérature néerlandaise à la ‘Vrije Universiteit Amsterdam’.
Adresse: Zacharias Jansestraat 52 hs, NL-1097 CN Amsterdam.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin.