Littérature
Le roman-fleuve de J.J. Voskuil
D'ici à l'an 2000, on assistera à la parution des quatre volumes restants de Het Bureau (Le bureau), roman de l'écrivain néerlandais J.J. Voskuil (o1926), les deux premiers étant sortis en 1996 et le troisième au début de l'année 1997. Ce roman-fleuve comptera en tout cinq mille cinq cents pages. On ne peut douter que ce programme éditorial soit mené à bien puisque Voskuil a déjà remis le manuscrit des sept volumes à son éditeur. L'écrivain aura alors à son actif le roman le plus volumineux des lettres néerlandaises. Un critique littéraire n'a pas hésité à prophétiser que le prestigieux prix P.C. Hooft lui reviendrait en 2001, prédiction dont certains doutent qu'elle se réalise tandis que d'autres la rejettent comme nulle et non avenue. Le bureau est un livre controversé: d'aucuns l'encensent, d'autres le descendent en flammes.
Si Voskuil était photographe, on pourrait dire qu'il ne prend que des clichés de murs aveugles, privilégiant les lézardes qui sillonnent les briques. Je suis convaincu que ces photographies exerceraient - en dépit du sujet - une fascination sans bornes sur le spectateur. Et on le devrait principalement au style de l'artiste, ce style qui, chez l'écrivain, est ce qu'il y a de plus extrême. Lire Le bureau, journal en plusieurs tomes, c'est adopter sur des milliers de pages la perspective d'un ennuyeux ‘Prinzipienreiter’ qui traite des questions les plus insignifiantes pouvant survenir au bureau, du genre: est-ce que le portier est réellement malade?
Mais ce qui se grave en définitive dans la mémoire du lecteur, c'est l'impitoyable précision d'un tel regard et le côté absurde qu'elle revêt, une précision qui fait qu'on ne peut que rire des faits et gestes de chacun:
‘- Vous me cherchiez, monsieur Beerta? demanda Hein de Boer?
- Oui, fit Beerta. De deux, trois coups de rein, il manoeuvra sa chaise en biais de manière à pouvoir dévisager l'autre. Une fois de plus, vous êtes en retard ce matin.
- De cinq minutes, c'est tout. Il était resté à la hauteur de la porte.
- Cinq minutes, c'est cinq minutes. Ici, l'heure c'est neuf heures.
- Hier, je suis arrivé cinq minutes en avance.
- Qu'est-ce que ça peut bien me faire que vous arriviez trop tôt!
- Mais vous ne croyez pas que ça va déjà mieux?
- Non, je n'en crois rien.’
Le récit se compose en grande partie des observations fragmentaires et minutieuses d'un narrateur qui regarde les choses de l'extérieur et les consigne dans un style impassible et concis. Ce choix, qui tient du documentaire et de la chronique, ne laisse aucune place à la vie intérieure des personnages, à leurs pensées non plus qu'à leurs réflexions. De fait, c'est surtout grâce aux nombreux dialogues qu'ils nous apparaissent. Une exception à cette règle: un compte rendu nous est fait de l'humeur, le plus souvent maussade, de Maarten Koning - le personnage principal du roman, homme tourmenté et alter ego de Voskuil -: répugnance, agacement, sentiment d'oppression. C'est en termes acerbes que l'auteur caractérise les collègues de travail, les rares amis et les nombreuses relations professionnelles de Koning, s'arrêtant à l'occasion sur leur comportement et plus encore sur leur manière de s'exprimer. Koning déteste la plupart de ses collègues du Bureau para-universitaire de