le rival. Le moi est en même temps un père, un fils, un poète, un amant et un humain qui déteignent les uns sur les autres et rivalisent les uns avec les autres. De la sorte, le vécu personnel acquiert un tout mythique, s'élève au niveau d'une confrontation permanente entre diverses forces ancestrales - un incessant rituel de passage. Dans En verdwijn met mate comme dans d'autres recueils, la généalogie joue un rôle décisif, avec à la clé des poèmes très réussis sur l'enfance et la place dominante qu'occupaient les femmes durant cette période de la vie du poète. C'est toutefois le cycle ‘Zelfportret van Hugo Claus’ (Autoportrait de Hugo Claus) qui retient le plus le lecteur; on y trouve un beau rendu de l'ambivalence à l'égard du père en art, de l'ami, du rival... A la fois démystifiants et monumentaux, ces poèmes ballottent le lecteur entre admiration pour l'imposante personnalité de Nolens et réserve devant le moi par trop absolu et totalitaire qui rend la vie à peine vivable.
Margreet Schouwenaar (o1955), enfin, compte pour sa part parmi ces nombreux jeunes poètes aux accents nouveaux. Tout comme Elma van Haren, Peter van Lier et Henk van der Waal, elle nous donne à lire une poésie très imprégnée de philosophie. De ce fait, ses poèmes s'écartent du courant prédominant aux Pays-Bas, celui de la suggestion anecdotique. On remarquera surtout chez Schouwenaar une propension à recourir à des poèmes relativement longs dans lesquels elle substitue quelques passages typographiquement séparés à une concentration toute ascétique des mots. Tour à tour, elle nous fait entendre diverses voix et nous donne à lire des styles disparates: fragments anecdotiques, bribes de dialogues, maximes philosophiques abstraites et, avant tout, hésitations. Il reste ensuite au lecteur à faire preuve de créativité pour extraire de cette variété une sorte de synthèse cohérente, quand bien même celle-ci, découlant d'associations d'idées, se trouve condamnée à demeurer imparfaite. En tout cas, c'est là une écriture réfléchie, bien que complexe, qui permet à la poétesse de cristalliser les ‘seuils de son vécu’: le poème tourne autour d'une idée centrale ou d'un sentiment premier, tout en s'éparpillant. Ce n'est pas un hasard si Schouwenaar place - à en croire le titre du recueil: Bezijden tijd (A côté du temps) - ses poésies en marge, à côté du cours chronologique censé gouverner notre existence: une vision poétique qui n'est pas sans rappeler la pensée d'auteurs français comme Blanchot, Derrida ou encore Levinas. Le fait que ses poèmes témoignent
eux aussi d'une obsession de la problématique temporelle, de la disparition et de la subsistance ainsi que de la place qu'occupe le sujet humain dans cette constellation complexe, ne fait que plaider en faveur de la circonspection et de l'ambition programmatique qui animent plus d'un poète néerlandais ou flamand contemporain. Ou, pour reprendre les mots de Margreet Schouwenaar en personne: ‘O phrase qui appelle le sens et fait s'incliner!’
DIRK DE GEEST
FNRS belge.
Adresse: Poortveldenplein 17/4, B-3200 Aarschot.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin.
kouwenaar, gerrit, De tijd staat open (Le temps ouvert), Querido, Amsterdam, 1996.
nolens, leonard, En verdwijn met mate (Et disparais avec mesure), Querido, Amsterdam, 1996.
schouwenaar, margreet, Bezijden tijd (A côté du temps), Querido, Amsterdam, 1995.