Hugo Claus et le carnaval cinématographique
Le producteur de cinéma Walter Oorslag voit sa demande de subventions pour l'adaptation cinématographique du roman
Villa des Roses de Willem Elsschot (1882-1960) rejetée par la Commission néerlandaise de la culture pour la promotion de l'expression audiovisuelle - ‘Conecu’... - parce que non conforme à certains ‘objectifs de la société flamande’ en matière culturelle. Un membre de la commission, le professeur à l'Institut des techniques audiovisuelles Jan-Frans Marigaal, se rappelle avoir reçu jadis, à titre d'examen de fin d'études, un scénario consacré à Pieter Brueghel l'Ancien (entre 1525 et 1530-1569), des mains d'un de ses étudiants, Frank Verbauwen, devenu cameraman, mais écrit en fait par un ami de celui-ci, Alex le Sourt, ancien poète tombé dans la boulimie, conservateur du musée consacré au peintre décédé Théodore Schellen. Le Sourt se voit ainsi entraîné dans le projet - avec toute la sordidité qui l'entoure -, même si l'écrivain prolétaire Jules Spanoghe, réputé stalinien et pédophile mais surtout obnubilé par le prix Michelin de la ville de Termonde, et deux dialoguistes anglais retravaillent son scénario. L'acteur clochardisant Herman Grootaers, qui interprétera le rôle de Brueghel, s'installe chez Le Sourt et sa femme Claire et y sème la pagaille. Arrive enfin, après les péripéties amateuristes autour du choix de l'actrice principale, des costumes, des accessoires lors des prises de vues, la première de gala du film, en présence du prince, où Le Sourt pèche contre le protocole. Les critiques sont négatives, mais le succès commercial est néanmoins assuré... Cet
épisode devait également redorer le blason de l'ancien ministre de l'Agriculture, puis de la Culture, Meulemans, finalement mis en congé de maladie pour être délégué par la suite au Parlement européen. Le Sourt, lui, doit encore subir la liquidation de son musée, puis, grâce à la belladone, s'enfonce dans une douce hallucination: ‘Celui qui veut en voir trop ne
voit plus rien. Le monde est une télé mal réglée, aux boutons mal tournés. Mais moins l'on voit, plus nettes sont les voix. Des voix qui voient’.
Cette évocation de la vie culturelle - flamando-universello-archétypique? - hyperpolitisée, empreinte de médiocrité, avec son écheveau d'intrigues, d'amateurisme, de corruption et de népotisme, sert de cadre à la bonne centaine de ‘scènes de la vie de province’ - autant de fragments nés chaque fois d'un élément du fragment précédent - où grouille une foule de personnages secondaires plutôt caricaturaux tous liés entre eux et peuplant le roman Belladonna dont l'auteur flamand Hugo Claus nous a gratifiés en 1994 à l'occasion de son soixante-cinquième anniversaire. L'aspect fragmentaire, chaotique, et l'éparpillement dénoncent avant tout le mensonge qu'est tout récit classique et traduisent littérairement l'opacité et l'inextricabilité de l'embrouillamini illisible qu'est la réalité, le caractère inexplicable de la vie. Les fragments constituent en outre autant d'expériences stylistiques reprenant tous