Histoire
Le libéralisme en France, aux Pays-Bas et en Europe
Le libéralisme jouit ces dernières années d'une attention croissante, phénomène qui s'explique par deux facteurs. D'une part, maintenant que la force d'attraction du communisme appartient au passé, certains estiment que ‘la victoire historique du libéralisme’ est proche. D'autre part, des historiens et des chercheurs en sciences politiques manifestent depuis un certain temps déjà un intérêt renouvelé pour le libéralisme de la fin du xixe siècle. C'était donc une heureuse idée que de consacrer le deuxième colloque franco-néerlandais tenu à l'Institut néerlandais de Paris les 10, 11 et 12 mai 1993 au thème: ‘Le libéralisme en France, aux Pays-Bas et en Europe: histoire et avenir’.
Si une idée ressort clairement de cet échange entre historiens, politologues et publicistes français, belges et néerlandais, c'est bien que le libéralisme pur et dur n'existe qu'en théorie. Le publiciste français Guy Sorman - peu en grâce auprès de la gauche en raison de son plaidoyer en faveur d'une économie de marché sans demimesure mais pas pour autant populaire auprès des gens de droite à cause de ses prises de position libérales dans d'autres domaines comme celui de la drogue - a fait part avec un enthousiasme désarmant de sa croyance en un libéralisme radical. Il a communiqué ses souhaits et prévisions pour le futur. La personne qui se consacre à l'étude de l'histoire du libéralisme en arrive rapidement à conclure que de telles pensées ne sont jamais mises en pratique. Pim den Boer, professeur à l'Université d'Amsterdam, a parlé de l'idée selon laquelle l'Europe serait ‘la terre d'asile de la liberté’, idée qui a refait surface à plusieurs reprises au cours des siècles. La politique économique libérale du milieu du siècle dernier n'était toutefois guère concevable sans un État qui rendît possible ‘la politique bourgeoise du laisserfaire’ en recourant à un système juridique rodé ou tout simplement - comme l'a exposé le professeur de la Vrije Universiteit Brussel, Els Witte - en donnant un coup de pouce aux entrepreneurs. La génération des libéraux de gauche qui se manifesta à la fin du xixe siècle fit même de la propagande pour une législation sociale avancée, rejoignant parfois en cela la pensée socialiste. Els Witte l'a
montré pour la Belgique et Siep Stuurman, professeur à l'Université d'Amsterdam, organisateur et grand animateur de ce colloque, en a donné récemment une nouvelle et féconde interprétation pour ce qui concerne les Pays-Bas.
Le libéralisme n'a pas débouché au
xixe siècle sur une politique de liberté effrénée et frisant l'anarchie; cette donnée a été confirmée ces dernières années par des études consacrées au libéralisme politicoculturel. Le politologue et philosophe Philippe Reynaud a exposé au cours de la conférence de clôture que le libéralisme s'appuie toujours sur des traditions ‘prélibérales’. La liberté préconisée par les libéraux prospère surtout dans un milieu protégé et ordonné, dans une entité nationale où règnent les traditions de continuité et de développement progressif. Le libéralisme français du
xixe siècle était en conséquence aux prises avec l'héritage révolutionnaire. La révolution de 1789 avait rompu la continuité de la nation: surtout après 1848, républicains et monarchistes s'opposaient sur tous les points. Les libéraux montraient une préférence pour la monarchie constitutionnelle garantissant harmonie et continuité si bien qu'après 1830, il semblait que Guizot pourrait mettre en place un État libéral sous la monarchie modérée des Orléans. La révolution de 1848 troubla toutefois ce rêve; par la suite, comme l'a montré de façon piquante Françoise Melonio, aucune forme française de libéralisme ne vit le jour en tant que telle. Les libéraux français n'ont cessé de rechercher la concorde sociale et la continuité qui leur eût permis de réaliser leur politique.
J.R. Thorbecke (1798-1872), d'après un portrait de J.H. Neuman, vers 1852.
Dario Roldan, un élève de Furet, a montré que le distingué libéral Charles de Rémuzat étudiait dans cette optique ‘le modèle anglais’. L'Angleterre passait pour un paradis du libéralisme. Mais, comme l'a fait observer Stuurman, ce modèle relevait plus de l'idéal que de la réalité. La culture bourgeoise homogène et harmonieuse sur laquelle les libéraux se plaisaient à se fonder n'existait pas non plus en Angleterre.
Et qu'en était-il des Pays-Bas? Sous la houlette de J.R. Thorbecke (1798-1872), les libéraux néerlandais ont pendant assez longtemps - suite à la révision constitutionnelle franchement libérale de 1848 - caressé l'illusion que le progrès quelque peu épaulé par l'enseignement conduirait à une telle culture. Le libéralisme correspond mieux à une société protestante qu'à une société catholique; à la grande différence de l'exemple français ou belge, il n'existait pas initialement pour les libéraux hollandais (ou anglais) de grandes contradictions entre un libéralisme laïc et la tradition nationale catholique. Après 1870 et en raison de l'opposition croissante des partis confessionnels puis celle des sociaux-démocrates, les