Mais ce n'étaient pas seulement les idéaux de la Révolution russe qu'elle considérait comme un antidote au fascisme. Les valeurs sur lesquelles reposait la culture néerlandaise se virent également attribuer cette fonction. Ces valeurs, l'ouvrage écrit en collaboration avec son mari, De Lage Landen bij de Zee (Les plats pays près de la mer, 1934), conçu comme un panorama de l'histoire néerlandaise, lui avait appris à les connaître. La liberté, la tolérance, la raison, la mesure, bref le bouquet de qualités bourgeoises qui avaient fait de la République du xviie siècle le magasin intellectuel de l'Europe, recevaient maintenant une nouvelle actualité. Mais, les exhumant du passé, elle évoquait également les créateurs mêmes de ces valeurs. Dans Erflaters van onze beschaving (Testateurs de notre civilisation, 1938-1940), une galerie de portraits de la culture néerlandaise, sa voix prenait des accents quasi contraignants: le temps pressait, plus que jamais il fallait diffuser le legs de ces testateurs. Le 10 mai 1940, les canons allemands la firent taire. Elle se retira, dans le silence, et se lança dans un roman historique consacré au juriste du xviie siècle Hugo de Groot - l'un des testateurs - et à son épouse Maria van Reigersbergh, Vaderland in de verte (Patrie des lointains).
Après la guerre, Annie Romein-Verschoor, engagea la lutte avec un radicalisme renouvelé contre tous ceux qui s'opposaient à la totale réalisation des idéaux politiques qu'elle défendait. Par une infinité d'articles parus dans des publications nées de la résistance comme De Vrije Katheder (La libre chaire), et Vrij Nederland (Les Pays-Bas libres), elle dénonça la restauration de l'ancien système politique: le nouvel esprit de chapelle, le manque de caractère des sociaux-démocrates du Partij van de Arbeid (Parti socialiste néerlandais), l'épuration par trop timide des milieux politiques... tout cela la mettait hors de ses gonds. Elle rejetait avec la même ardeur le dogmatisme des communistes du parti que l'ergotage propre à la droite de l'échiquier politique. Avec d'autres compagnons de route, elle chercha, dans la revue De Nieuwe Stem (La nouvelle voix), fondée en 1948, une ‘troisième voie’, mais c'était continuer à se battre contre des moulins. Son assentiment affiché à la lutte pour l'indépendance de l'Indonésie (où elle passa quelques mois en 1951-52) l'amena à heurter davantage encore de compatriotes.
Animée d'un même radicalisme et d'une même indépendance, elle sillonnait cependant (avec l'absence d'esprit de système qui la caractérisait) le territoire commun à l'histoire, à la littérature et à la sociologie. Dans les essais qui résultaient de ces escapades - elle publia en 1947 Slib en wolken (Alluvions et nuages), en 1949 De vruchtbare muze (La féconde muse) et huit ans plus tard le recueil Spelen met de tijd (Jouer avec le temps) - elle laissait libre cours à l'expression de sa personnalité. Le genre lui convenait: il lui garantissait, avec une entière liberté d'examen et de regard, le maintien de sa fidélité à l'esprit néerlandais. Brossant le portrait de Jérôme Bosch dans Erflaters (Testateurs), elle avait déjà caractérisé ‘l'art d'observer’ comme l'apport néerlandais le plus spécifique à la civilisation européenne. Elle répétait maintenant cette constatation: l'esprit néerlandais était ‘un esprit qui voit, qui observe, qui ne cesse de réagir à la réalité’. C'est précisément cet esprit, porté par des ‘gens qui ne se laissaient pas bander les yeux, par des gens aux yeux ouverts’, qu'il fallait maintenir vivant, et ‘la Hollandaise à cent pour cent’ qu'était Annie Romein-Verschoor, entendait bien y contribuer.