‘L'homme de l'eau’, de A. van Schendel.
Gallimard sortait en 1984, dans sa collection ‘Du monde entier’, la traduction française du roman néerlandais De waterman écrit par Arthur van Schendel en 1933. Il aura donc fallu plus de 50 ans pour que ce chef-d'oeuvre de la littérature néerlandaise se fraie un chemin vers le public francophone!
L'homme de l'eau, c'est là le titre que la traductrice, S. Margueron, a choisi. C'est, à mon avis, le seul titre qui convienne pour définir l'histoire d'un homme dont toute la vie jusqu'à la mort est intimement associée à l'eau. L'eau est omniprésente dans ce roman: quelques rivières ou fleuves des Pays-Bas constituent le cadre géographique de l'action; ils sont parcourus par le marinier Maarten Rossaart, qui en connaît tous les bienfaits mais aussi tous les écueils (glace, neige, brouillard, inondations, etc); l'eau est pour lui un élément à la fois familier et secret: elle recèle le mystère de la vie et de la mort, deux pôles dont elle réalise et transcende la synthèse.
Toutefois, comme l'explique S. Margueron dans son excellente préface, L'homme de l'eau n'est pas seulement un ‘roman d'eau’. La religion, associée symboliquement à l'eau, y joue un rôle important et par là aussi, le roman est typiquement hollandais. Dans un climat de querelles dogmatiques entre diverses sectes protestantes, plus ou moins rigides, Rossaart incarne le nonconformisme religieux; pour lui, une foi vécue, profonde et simple, à l'exemple des premiers chrétiens, est de loin préférable à la conformité à un dogme. En d'autres termes, l'esprit l'emporte sur la lettre.
La vie du héros se déroule dans la Hollande du xixe siècle, entre 1800 en 1870 environ, sous l'occupation française. Mais l'essentiel du roman n'est pas dans l'évocation historique. Van Schendel a bien plutôt incarné le Hollandais type. Rossaart est un personnage taciturne et secret; un homme sérieux (il rit rarement!), honnête, consciencieux; un obstiné et un travailleur acharné; il est tout intériorisé et profondément religieux (au sens étymologique du terme); retenons encore sa générosité, sa confiance dans la vie (c'est là d'ailleurs le nom de son bateau) et son attachement profond à sa terre, à la femme qu'il aime et, bien entendu, à l'eau. Un individu qui va son chemin, sans se préoccuper des convenances sociales.
Tout cela, S. Margueron l'a très bien compris et sa traduction en témoigne. Elle a saisi l'esprit du roman et est parvenue à évoquer aux yeux du lecteur francophone aussi bien ce personnage si éloigné du Français moyen que les hivers rigoureux et durs dans un pays qui doit se défendre contre l'eau. Elle a aussi trouvé le vocabulaire adéquat pour exprimer l'austérité de ce calvinisme culpabilisant qui s'oppose à la foi
Portrait de A. van Schendel (1874-1946) par Jan Poortenaar.
rayonnante et bon enfant de la tante Jans. Elle a perçu le pouvoir suggestif du style de Van Schendel et en respecte la subtile discrétion. De merveilleux passages à cet égard sont ceux qui évoquent la mort: du douannier (p. 12), de la mère de Maarten et de sa petite soeur (p. 34), de Nel (p. 102), du fils de Rossaart (p. 154). Ou ceux qui suggèrent la relation amoureuse entre Maarten et Marie (par exemple p. 111). C'est comme si les grands moments de l'existence ne pouvaient être dits, les mots n'étant pas capables d'exprimer de manière adéquate les sentiments éprouvés. La fin du roman, qui évoque la mort de Maarten dans l'eau, est splendide aussi bien dans la traduction que dans la version originale.
Quelques détails me semblent moins heureux dans le texte de