Septentrion. Jaargang 11
(1982)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Il existe toutes sortes de musées aux Pays-Bas. Leur nombre dépasse les six cents et englobe aussi bien les grands musées d'intérêt général que les établissements consacrés à un seul type de profession, à un genre précis de collection. Dans cette énorme masse à but culturel, le Musée Meermanno-Westreenianum occupe une place unique, et cela pour deux raisons: tout d'abord parce qu'il constitue l'un des très rares exemples de collection particulière rassemblée au 19e siècle toujours conservée dans la demeure de son propriétaire originel, ensuite parce que c'est le seul musée des Pays-Bas qui ait pour tâche principale de nous renseigner sur le livre et l'imprimerie, des origines à nos jours. Que ces informations soient limitées à l'espace restreint qui est celui du musée n'ôte rien à la richesse des collections, dont les divers aspects peuvent se découvrir au fil d'expositions successives. Le Musée Meermanno-Westreenianum est situé Princessegracht, dans une maison patricienne bâtie au début du 18e siècle sur ce qui était encore à cette époque la lisière de La Haye, où se trouvait d'ailleurs déjà le gouvernement des Pays-Bas. Willem Hendrik Jacob van Westreenen van Tiellandt (1783-1848), descendant d'une famille d'échevins prospères, plus tard anoblie, y vécut à partir de 1794, d'abord avec ses parents, ensuite, après leur mort, en la seule compagnie de ses domestiques. Dès sa prime jeunesse, il s'intéresse à l'art et à l'histoire, penchant qu'eut à coeur de stimuler un arrière-cousin plus âgé, Johan Meerman (1753-1815), lui-même possesseur d'une collection d'antiquités et d'une considérable bibliothèque. Cette dernière comprenait, notamment, près de mille manuscrits ayant appartenu au Collège de Clermont, à Paris, et
Portrait de Willem H.J. Baron van Westreenen van Tiellandt, fondateur du musée, par J. Post-Brans, environ 1843.
que son père avait rachetés en bloc lors de l'expulsion des Jésuites par Louis XV en 1764. L'exemple de Meerman aida puissamment à la formation du collectionneur Van Westreenen et, si son premier terrain de chasse ne dépassait pas les boutiques et marchés de La Haye, il s'étendit bientôt à toute l'Europe. Parmi les premiers achats du débutant, citons un manuscrit français du milieu du 15e siècle, La grande chirurgie, célèbre traité de médecine de Guy de Chauliac. Quand il l'acquit, en 1798, dans une vente publique à La Haye, Van Westreenen avait à peine quinze ans. Le moins qu'on puisse dire du reste est que l'ouvrage n'est guère attrayant. Etudiant en droit à l'université de Leyde, Willem van Westreenen fut nommé en 1807, par le roi Louis-Napoléon, archiviste-adjoint du Royaume, fonction qu'il occupa pendant quelques années. A partir de 1810 s'il lui arrive, à l'occasion, de remplir quelque fonction honorifique, il vit surtout de ses rentes, comme la fortune familiale le lui permet. Dès le début de son activité de collectionneur, outre son intérêt pour la bibliophilie, Van Westreenen accorde aussi son attention à l'archéologie et à la numismatique. | |
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Guy de Chauliac, ‘La Grande Chirurgie’, France, milieu du 15e siècle.
Papyrus égyptien avec scène d'offrande: à droite un homme faisant offrande, à gauche quatre dieux.
Ses nombreux voyages aux Pays-Bas et à l'étranger sont d'une importance primordiale, non seulement pour la recherche de pièces rares mais pour l'étude qu'il y fait du contenu des musées et bibliothèques. Ce goût des voyages se développe surtout après la mort de ses parents. Entre 1827 et 1846, il en entreprend une quinzaine, pendant lesquels il parcourt la Belgique, l'Allemagne, la France, l'Italie, la Suisse, l'Autriche, la Hongrie, l'Angleterre et l'Ecosse. Des journaux de voyage et des achats faits en route nous laissent le souvenir tangible de ses itinéraires. Un moment important de la vie du collectionneur fut sans doute la liquidation de la collection Meerman, dans les années 1821-1824. De gré à gré ou lors de la vente publique de 1824, Van Westreenen en acquit une grande partie. C'est notamment ce qui nous permet de trouver encore aux Pays-Bas nombre de livres de la fameuse bibliothèque Meerman, la plupart ayant été vendus en Angleterre; parmi ces achats, aussi, des antiquités et les portraits de famille des Meerman. Ceci explique pourquoi le testament par lequel il léguait sa maison, ses collections et sa fortune à l'Etat aux fins | |
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d'exploitation en musée stipulait que ledit musée porterait le nom de Meermanno-Westreenianum. Ce testament entra en vigueur après la mort du collectionneur, en 1848, et le musée ouvrit ses portes en 1852, lorsque la maison eut été rénovée. Ce que le fondateur y avait rassemblé pendant un demi-siècle, pour son plaisir, entrait ainsi dans le domaine public. On ne fut certes pas déçu par le contenu des dizaines d'armoires de la maison patricienne. La bibliothèque fut évaluée à quelque 15.000 volumes, le cabinet de monnaies et de médailles à environ 10.000 pièces, la plupart classiques, et l'inventaire des objets répertoria vers les 1.300 articles, parmi lesquels des antiquités égyptiennes, grecques et romaines, mais aussi des pièces plus récentes. Bien que le fondateur du musée ne semble pas avoir fait preuve d'un même discernement dans tous les domaines, il saute aux yeux que c'était un collectionneur-né, sensible à la valeur et à l'intérêt des pièces réunies. Ceci ressort particulièrement de la collection d'objets où l'on peut trouver nombre de pièces rarissimes. L'ensemble égyptien surtout offre des oeuvres d'art remarquables, dont la plupart furent achetées par Van Westreenen à des collections françaises. Ainsi le très beau papyrus reproduit ci-contre, rapporté d'Egypte lors de l'expédition de Napoléon et que ce dernier, devenu empereur, avait offert au baron Vivant Denon; à la vente publique de l'héritage du possesseur, le collectionneur de La Haye l'acquit pour 360 francs. La petite collection de tableaux italiens du 14e et du début du 15e siècle est également à noter, parce que rassemblée à une époque où l'intérêt pour la peinture italienne d'avant la Renaissance était pratiquement inexistant. Bien que l'attention de Van Westreenen ne paraisse guère avoir été retenue
Aiguière de cuivre émaillé, par Pierre Reymond, école de Limoges, France, milieu 16e siècle.
par le 16e siècle, on trouve, de cette époque, quelques pièces superbes, tels une aiguière et un bassin en Limoges de Pierre Reymond; un combat de cavaliers et un cortège de bacchantes sont peints en grisaille sur l'aiguière, l'histoire de Diane et d'Actéon sur le bassin. De la même époque, on peut aussi voir quelques céramiques italiennes d'Urbino. Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, l'essentiel de l'héritage Van Westreenen est constitué par la bibliothèque, riche surtout en manuscrits médiévaux et en incunables. Parmi les quelque 200 manuscrits du moyen âge, à côté de nombreux ouvrages qui donnent une vue d'ensemble de l'évolution du livre entre le 6e et le 16e siècle, on trouve quelques sommets de l'art de l'enluminure. Citons avant tout le célèbre manuscrit français La Bible Historians, traduction du texte sacré qui ne compte pas moins de 269 miniatures et qui fut offerte en 1372 à Charles V par son conseiller Jean de Vaudetar. Cette Bible est surtout connue à cause du frontispice enluminé, représentant l'offrande du livre au roi, dont l'inscription en regard précise qu'elle est l'oeuvre d'un artiste d'origine flamande, alors très coté à la cour de | |
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‘La Bible Hystorians’ ou les hystoires escolastres (Bible de Charles V, roi de France), 1372, miniature de tête de Jean Bondol avec dédicace du manuscrit à Charles V.
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France, Jean Bondol ou Jean de Bruges, à qui sont également dus les cartons des célèbres tapisseries de l'Apocalypse d'Angers. La Bible du Musée Meermanno-Westreenianum constitue le seul témoignage certain de son apport à l'art de l'enluminure, on peut d'ailleurs présumer que s'il exécuta la première miniature, il dirigea la réalisation des 268 autres. Outre la Bible de 1372, le musée nous offre un autre ouvrage de la fameuse bibliothèque de Charles V, une traduction française de l'Ethique d'Aristote datée de 1376. Parmi les autres manuscrits du musée se trouvent de nombreux ouvrages importants originaires de France et des Pays-Bas. Citons par exemple Le Livre de la Bouquechardière de 1475-80 et, de la même époque, La Cité de Dieu, ornée de 286 enluminures. Ces deux ouvrages sont français. Des Pays-Bas, retenons notamment une Rijmbijbel (Bible en vers) de Jacob van Maerlant de ± 1330 et un Getijdenboek (Livre d'heures) de 1460 environ, avec des enluminures et des encadrements de la main du Maître de Catherine de Clèves, le plus célèbre enlumineur des Pays-Bas du Nord au 15e siècle; ce dernier ouvrage ne provient d'ailleurs pas des collections Van Westreenen, il fut acheté en 1964 en Amérique, pour compléter le fonds original. La collection des incunables est encore plus riche, leur nombre dépasse les 1300, parmi lesquels des oeuvres rarissimes, notamment les tout premiers livres imprimés dans divers pays. Accordons une mention particulière à la planchette reproduite ici, qui nous permet de voir comment se faisait l'impression au temps de la xylographie: les caractères n'étant pas mobiles, chaque page nécessitait l'emploi d'un bloc unique, gravé à cet effet et qui ne pouvait servir que pour cette page-là. On imagine la somme de travail que requérait ce procédé qui disparut avec l'emploi des caractères mobiles de Gutenberg. La précieuse planche gravée fut achetée à Bâle, en 1766, par Gerard Meerman, le père de Johan et fait partie des trésors qui aboutirent plus tard dans la collection Van Westreenen. Le Musée possède d'ailleurs toute une série d'incunables tabellaires, fruits de cette technique d'impression. La collection montre clairement que Van Westreenen était particulièrement attiré par tout ce qui touche à l'impression des livres, au XVe siècle. Elle n'en offre pas moins des oeuvres représentatives des siècles suivants, parmi lesquelles nous citerons, par exemple, un fort bel exemplaire colorié du grand atlas de Blaeu, une série importante de petites éditions de la famille Elsevier et bien d'autres raretés. A côté de cela, nous trouvons aussi dans la bibliothèque de Van Westreenen, des milliers d'ouvrages achetés non pas à cause de leur caractère exemplaire mais dans le but de les lire, ou de les consulter. Remarquons cependant que nombre d'entre eux sont devenus introuvables, c'est le cas par exemple de guides de voyage et de catalogues de ventes publiques. Après son ouverture en 1852, et nonobstant la richesse de ses collections, le musée vécut près d'un siècle à peu près inaperçu. Mais, depuis 1960, on lui a insufflé une nouvelle vie. Chaque année voit se dérouler au moins cinq expositions sur le thème de la bibliophilie, de l'imprimerie, de la calligraphie de tous les temps, cependant que l'on est en train de bâtir une deuxième section, à savoir le Musée du Livre, lequel constituera une sorte de prolongement du Musée van Westreenen: il présentera ce que nous devons à l'imprimerie depuis le milieu du 19e siècle, complétant la collection du fondateur et couvrant ainsi, avec elle, toute l'histoire de la réalisation des livres. | |
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Planche gravée pour un incunable tabellaire (15e siècle).
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François Villon, OEuvres, Le Lais, Le Testament et ses ballades (La Haye, Kuners Pers, Jean François van Royen, 1926).
Si cette collection se propose de présenter l'art de l'imprimerie dans tous les pays, elle mettra surtout l'accent sur la production des Pays-Bas. C'est ainsi que nous y trouverons, à côté des oeuvres complètes de la Kelmscott Press de William Morris, l'héritage complet, y compris la presse et l'atelier de composition du Hollandais Jean François van Royen (1878-1942) qui, au moyen de sa presse privée, contribua largement à la renaissance de l'art du livre aux Pays-Bas. Ces dernières années, on a rassemblé force matériel d'imprimerie et de reliure hors d'emploi; en regard des livres on montre ainsi la manière dont ils étaient fabriqués. Mais il faut bien reconnaître que la surface d'exposition dont peut disposer le musée est insuffisante pour montrer tout cela au public. On peut espérer qu'un bâtiment supplémentaire permettra, dans l'avenir, d'avoir l'espace requis pour faire de ces riches collections un véritable musée du livre et de l'imprimerie. Les amateurs pourront s'y faire une idée du livre, des scriptoria monastiques médiévaux à nos jours: ce panorama nous permettra de noter conjointement une mécanisation croissante de l'industrie du livre et un intérêt croissant des particuliers pour l'impression à la presse à main. RUDOLF E.O. EKKART |
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