Septentrion. Jaargang 11
(1982)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Notices/livresA propos du pays d'origineEn 1940, alors que les Allemands s'apprêtent à occuper durablement les Pays-Bas et la Belgique auxquels ils viennent d'infliger une écrasante défaite, la littérature néerlandaise perd, d'un seul coup, trois de ses plus illustres écrivains du moment. Terrassé par une angine de poitrine, Eddy du Perron meurt le jour même de l'invasion. Le 14 mai, Menno ter Braak se suicide, voulant échapper ainsi aux humiliations de l'occupation imminente. Enfin, dans la nuit du 20 au 21 juin, Hendrik Marsman se noie, le bateau avec lequel il tente de s'enfuir de Bordeaux en Angleterre ayant été torpillé par les AllemandsGa naar eind(1). Dans l'histoire des lettres néerlandaises, cette triple perte met fin à une période exceptionnellement passionnante quoique dramatique. Cette période particulièrement attachante avait commencé au seuil des années vingt lorsque, déjà, ‘retentissait, couvrant du coup toutes les autres, la voix passionnée et passionnante de Marsman, défenseur d'une certaine hiérarchie culturelle, le ‘poète béni’. Y faisait écho, à l'opposé, le cri nostalgique, aigre-doux et rebelle de l'aventurier anarchiste Slauerhoff, assoiffé d'espace et de grandeur, véritable ‘poète maudit’. (W.L.M.E. van Leeuwen)Ga naar eind(2). Toutefois les temps changent vite. Voici qu'aux folles années vingt, débordantes de dynamisme, éclatantes de joie de vivre, succèdent, angoissantes et incertaines, les sombres années trente, frappées de plein fouet par la crise économique, minées par le chômage, ébranlées par la montée irrésistible des régimes totalitaires. C'en est fini de ‘l'art pour l'art’ promu par les Tachtigers (Mouvement de Quatre-Vingt) et leurs épigones. Des problèmes entièrement nouveaux mobilisent les esprits: la place de l'individu par rapport à la masse, la hiérarchie élitiste face au nivellement démocratique, l'évasion romantique ou la préférence donnée au fusil sur la plume, l'alternative éthique-esthétique. C'est au cours de cette période agitée où s'affrontent idées et idéologies que les Néerlandais Menno ter Braak et Eddy du Perron ainsi que le Flamand Maurice Roelants créent, en 1932, la revue littéraire Forum. Elle cesse de paraître dès 1935 mais on ne saurait sousestimer l'influence profonde qu'elle exerça sur la littérature néerlandaise. Forum prenait parti pour l'‘homme’ face à la ‘forme’, autrement dit, attachait plus d'importance à la personnalité de l'auteur qu'à la perfection de son style. Animée d'une telle conviction, la revue fustigeait sans merci toute forme d'épigonisme. ‘Autour de Forum, écrit Van Leeuwen, le grand spécialiste de cette époque, se réunissent les forces vives du Nord et du Sud (c'est-à-dire des Pays-Bas et de la Flandre). Jusqu'à leur mort, survenue prématurément en 1940, les fondateurs de la revue mèneront de concert une triple entreprise: l'évaluation critique de leur époque, le souci constant de découvrir des personnalités marquantes et, enfin, une introspection attentive dénuée de complaisance. Du Perron et Ter Braak: deux “écrivains de combat”, deux “moralistes” dans l'âme.’Ga naar eind(3). C'est dans ce monde en effervescence, dans ce climat d'agitation et d'incertitude que s'inscrit l'oeuvre maîtresse d'Eddy du Perron, Het Land van Herkomst (Le Pays d'Origine), écrite à l'époque de la parution de la revue Forum. Marsman la considère d'emblée comme l'oeuvre par excellence de ces sombres années. Voici ce qu'il écrit sans ambages au lendemain de la publication de l'ouvrage en 1935: ‘Sans chercher en rien à porter préjudice aux écrivains | |
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Couverture du ‘Pays d'Origine’.
Eddy du Perron (1899-1940).
valables de ma génération, je ne saurais mieux exprimer mon admiration pour cette oeuvre qu'en présentant Le Pays d'Origine comme l'expression la plus complète de notre génération. Ceci en raison de l'intelligence, de la richesse humaine, de la passion et du talent littéraire qui s'en dégagent, qualités que vient couronner un profond souci de dignité humaine.’ Comme vient de l'écrire Pierre H. Dubois dans un numéro récent de SeptentrionGa naar eind(4), ce roman de Du Perron semblait voué à être traduit au moins en français: le livre avait été écrit en France où l'auteur habitait alors et où il s'était lié d'amitié avec André Malraux et Pascal Pia; en outre le roman n'analyse pas seulement le pays d'origine mais aussi l'Europe et plus particulièrement la France de cette époque. (Paris vit alors à l'heure du scandale causé par l'affaire Stavisky). Cependant, après plusieurs essais infructueux, il faudra attendre 45 ans avant de voir paraître sur le marché français la traduction du livre. La réussite inespérée de cette tentative tardive est due au talent et à la persévérance de Philippe Noble, un des rares Français à posséder une telle maîtrise du néerlandais qu'ils soient capables de se mesurer à une traduction aussi difficile. Le traducteur a en outre doté le roman d'un avant-propos d'un rare équilibre et d'un exceptionnel intérêt. Mais de quoi s'agit-il au juste dans le Pays d'Origine? De rien de moins que de la rétrospection méticuleuse d'un homme de 34 ans, en quête du comment et du pourquoi de son existence. Cet homme s'appelle Arthur Ducroo, mais il s'agit en fait d'un sosie de Du Perron luimême. Tous les autres personnages sont inspirés, eux aussi, de personnes parfaitement reconnaissables, côtoyées par l'auteur à l'époque même de la rédaction de son roman. Citons, entre autres, André Malraux et sa femme, Pascal Pia et sa femme, les poètes néerlandais Adriaan Roland Holst et Jan Greshoff. On a donc affaire à un véritable roman à clés. Enfant gâté, fils d'un riche planteur, Ducroo passe les 22 premières années de sa vie en Indonésie, le véritable ‘pays d'origine’. Sa famille réussit à atteindre l'objectif suprême que s'assignaient alors les coloniaux de l'époque: rentrer en Europe, plus précisément en Belgique, pour y vivre de ses rentes. Cependant, quelques années plus tard, le père d'Arthur se suicide et lorsque sa mère, personne maladive et d'humeur inégale, meurt à son tour en janvier 1933, il s'avère que le patrimoine familial s'est volatilisé, laissant Arthur sans le sou. C'est à ce moment précis, en février 1933, que débute dans le roman l'examen de conscience auquel va se livrer le personnage principal. Son premier mariage avec une simple fille du peuple a échoué à cause d'incompréhensions mutuelles. Au moment de la débâcle financière, Ducroo vit à Meudon, près de Paris, où il | |
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mène, en compagnie de sa deuxième femme, une vie insouciante. C'est là qu'il se met alors à rédiger son autobiographie, tout en s'efforçant de s'assurer un minimum de subsistance matérielle. Dans le roman, les diverses périodes et les ‘Ducroo’ successifs qui y correspondent, s'entremêlent sans cesse et s'interpénètrent fort habilement. L'enfant indien, gâté, en proie à ses phobies, observant avec lucidité tout ce petit monde colonial qui l'entoure. Plus loin, l'adolescent plutôt ingrat, sans doute le ‘Ducroo’ le moins sympathique. Ou encore, le jeune homme, âgé de 22 ans, qui découvre non sans étonnement l'Europe des années vingt et qui essaie, tant bien que mal, de s'y acclimater. L'auteur enfin, tel qu'on le retrouve en 1933, cette fatidique année 1933, analysant les problèmes de son époque, s'acharnant contre vents et marées à se réclamer de l'individualisme le plus radical lors même qu'il voit des amis, tels que Malraux, s'engager dans une voie tout opposée. Le roman offre ainsi au lecteur un panorama large et pénétrant de l'époque et lui permet en outre de se familiariser sans cesse davantage avec la personnalité de l'auteur. En traduisant Het Land van Herkomst, Philippe Noble a rendu accessible au public français un des livres néerlandais les plus marquants de ce siècle. (S'agit-il d'une coïncidence? le roman néerlandais le plus important du dix-neuvième siècle, Max Havelaar de Multatuli, naît lui aussi de la confrontation entre l'Indonésie et l'Europe!). Le traducteur qui a étudié le néerlandais sous la direction du professeur Brachin, s'est vu décerner le prix Martinus Nijhoff, un prix néerlandais qui couronne, chaque année, une traduction en néerlandais ou du néerlandais. Que Philippe Noble ait obtenu cette haute distinction, voilà qui n'est que justice. Sa traduction est tout simplement éblouissante. Si éblouissante que Rudy KousbroekGa naar eind(5) y a vu le prétexte d'une interrogation critique, de prime abord assez surprenante bien que typiquement ‘néerlandaise’. Il se demande s'il ne se pourrait pas que la traduction soit en définitive plus brillante que l'oeuvre originale. ‘Il n'est pas exclu, poursuit-il, que l'auteur ait évité, à dessein, d'être brillant. Le Pays d'Origine confirme quelque peu ces assertions. Le résultat est effectivement plus artistique, plus littéraire, plus “français” au sens courant du terme que l'original. Or on a de bonnes raisons de croire que Du Perron ne cherchait pas à briller.’ Non sans quelque malice, Kousbroek s'empresse d'ajouter: ‘Mais à vrai dire cela ne saurait constituer un grief à mes yeux. Si toutes les traductions de livres néerlandais atteignaient un tel degré de perfection, notre littérature jouirait sans doute d'une tout autre réputation à l'étranger.’ Voilà donc, à l'adresse de ce jeune traducteur, un fort joli compliment que nous nous plaisons à prendre à notre compte. JAN DELOOF Traduit du néerlandais par Urbain Dewaele. |
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