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Hubert van Herreweghen
(Photo Paul van den Abeele).
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Le poète Hubert van Herreweghen
Willy Spillebeen
Né à Westrozebeke (Flandre occidentale), le 30 décembre 1932. Professeur de néerlandais. Poète romancier et critique littéraire. Auteur de: De Spiraal (1959 - La Spirale), Naar dieper water (1962 - Vers les eaux plus profondes), Groeipijn (1966 - Mal de croissance), poésie; De maanvis (1966 - Le poisson-lune), De Krabben (1967 - Le sphinx sur le dépotoir), Steen des aanstoots (1971 - Pierre d'achoppement), De Vossejacht (1977 - La chasse au renard), romans; 3 × Drempelvrees (1974 - Nouvelles), Emmanuel Looten, de Franse Vlaming (1963 - Emmanuel Looten, Flamand de France), Jos de Haes (1966), Een zevengesternte (1968 - Une pléiade), Hubert van Herreweghen (1973), André Demedts (1974), Martinus Nijhoff (1977), essais; traductions en langue néerlandaise d'Emmanuel Looten, de Pablo Neruda et de Roman Gary.
Adresse:
Sluizenkaai 47, 8600 Menen (Belgique).
Né en 1920, Hubert van Herreweghen débuta en pleine guerre, en 1943. Avec Christine D'Haen, Jos de Haes, et Anton van Wilderode, il fait partie de la ‘génération de l'occupation’. S'il s'agit de classer ces poètes selon la nature de leur poésie, on les appellera les ‘néo-classiques’ ou les ‘classiques romantiques’. Leur sentiment de la vie rejoint en partie l'existentialisme d'un Albert Camus et d'un Gabriel Marcel - pour Van Herreweghen, il convient de mentionner en outre l'influence de Sören Kierkegaard -, mais comme ce sont des croyants qui ont bénéficié d'une formation classique, l'existence ne leur paraît pas absurde et ils ne succombent pas davantage à la tentation de l'expressionnisme. Au début des années 30 (Paul van Ostaijen), celui-ci s'était pour ainsi dire totalement éteint dans la poésie flamande. Les classiques romantiques écrivaient des poèmes de forme classique où ils affirmaient que le monde ne pouvait être absurde par essence du fait qu'il reflète un ‘ordre supérieur’. Leurs successeurs immédiats, en revanche, c'est-à-dire les poètes des années cinquante, les Vijftigers, se rapprochaient nettement de l'existentialisme de Sartre et de Beauvoir et constataient que leur monde avait éclaté pour ne plus former qu'un chaos. Cet aspect chaotique s'exprimait d'autre part jusque dans la forme expressionniste de leur poésie.
Van Herreweghen est l'auteur de sept recueils de poèmes: Het jaar der gedachtenissen (1943 - L'année du souvenir), De minnaar en de vrouw (1945 - L'amant et la femme), Liedjes van de liefde en van de dood (1949 - Chansons de l'amour et de la mort), Gedichten (1953 - Poèmes), Gedichten II - Brieven uit Portugal (1958 - Poèmes II - Lettres du Portugal), Gedichten III (1962 - Poèmes III) et Gedichten IV (1967 - Poèmes IV).
Le poète habite depuis de nombreuses années à Bruxelles, où il occupe la fonc- | |
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tion de chef du Service du théâtre et de la littérature à la section néerlandaise de l'Institut de la radiodiffusion et de la télévision belge (BRT). Toutefois, ce n'est ni un homme de la ville ni un poète citadin. Son oeuvre se situe quasi intégralement dans un milieu campagnard, dans sa région natale autour de Pamel, dans le Brabant flamand. Dans ce paysage, le poète lui-même, au caractère tourmenté et dualiste, est pour ainsi dire l'unique être humain. Le dualisme de l'homme et de la nature devient souvent un dualisme, voire un antagonisme opposant le naturel et le surnaturel, la chair et l'esprit. La nature est mythique, isolée, intemporelle, paradisiaque, élégiaque. Elle rappelle l'enfance. Dire adieu à l'enfance était en même temps prendre ses distances par rapport à la nature, qui s'avérait soudain posséder un côté nocturne. Devenir adulte impliquait pour le poète une prise de conscience du dualisme: ‘Mon âme me pèse comme du plomb dans mes membres’ (Amalia Rodriguez III dans ‘Poèmes II’). Dans le souvenir du poète, l'enfance était un temps paradisiaque (en fait le temps n'existait pas), d'où il fut repoussé par la ‘culpabilité héréditaire’. Parfois, pour ‘un bref instant’, il peut recouvrer cette innocence et être heureux. A mon sens, cette culpabilité héréditaire, c'est le fait d'être adulte. Il s'agit sans doute d'une conscience de sa culpabilité résultant de la nature du poète, de son milieu et de son éducation et certainement aussi
d'expériences qu'il a faites au cours de la guerre. Le poète a greffé làdessus une vision biblique traditionnelle du paradis perdu et de la race humaine infectée du péché original. La nostalgie est le revers des souvenirs de l'enfance, une mélancolie que provoque la conscience du caractère irrévocable de ce passé. L'interaction entre l'angoisse de la vie et le goût de la mort ainsi que le désarroi provoqué par les expériences faites pendant la guerre et qui ont forcé l'évolution vers l'âge adulte, aboutirent, dans les premières poésies de Van Herreweghen, à une fuite vers une tristesse romantique, mélancolique et tourmentée, à un climat sentimental faisant songer à l'automne. L'influence de l'important poète flamand que fut Karel van de Woestijne (1878-1929) est indéniable. Il n'empêche, cependant, que cette fuite devant l'absurdité de la réalité caractérise tout autant les autres poètes de cette ‘génération de l'occupation’.
Les poèmes de Hubert van Herreweghen constituent en fait une biographie intérieure. Des éléments autobiographiques, que le lecteur ne doit pas nécessairement connaître pour comprendre les poèmes, y sont transposés. Le poème Cascais (Poèmes II) en est une excellente illustration. Sur le plan biographique, le poète parle d'une chute qu'il a faite lorsqu'il était petit garçon. Ce fait est transposé, en rêve, à proximité d'une fontaine à Cascais, au Portugal. Le poème traduit, en outre, le désir de revivre l'enfance auprès de la mère et un souvenir de cette enfance. Dans le même recueil, Visioen (Vision) se fonde sur un procédé analogue. De nouveau en rêve, le poète y voit ‘un garçon de neuf ans’. Sans doute, ce garçon se trouvait-il effectivement à Cascais, immobile comme une statue. En effet, le poète part toujours de la réalité. Mais, en fin de compte, ce garçon était (est) le poète même. La figure de la mère, elle aussi, dont la présence imprégnait déjà fortement Cascais, tout en étant inaccessible, sera présente dans un nombre considérable de poèmes de Van Herreweghen. Dans le cycle Mercredi des cendres (Poèmes III), la mère du poète est transposée jusqu'à devenir la céleste Mère Marie. Il faut dire tout de suite que Van Herreweghen est un poète religieux. L'image du ‘moulin’ représente d'une manière assez complète sa conception du monde et de la vie. Le moulin semble avoir été une réalité
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particulièrement présente et vivante dans l'enfance et la jeunesse du poète. Dans un entretien, le poète dit: ‘Les moulins m'ont toujours fasciné. Ils ressemblent à des dragons gémissants et noirs et qui, dans un effort convulsif, essaient de se détacher de la terre. A l'instar de l'homme. L'homme aussi veut avoir des ailes. Les moulins et les ailes, il en est souvent question dans mes poèmes. Au Portugal, j'ai vu un garçon qui jouait avec un cerfvolant en papier - dans notre dialecte, nous parlons d'un “dragon”, précisément - en face de trois moulins sur la crête d'une colline. Le cerf-volant montait toujours plus haut. Les moulins semblaient vouloir s'arracher à la colline, mais ils restaient à leur place. Cette scène m'a inspiré un poème: Je suis le moulin, je ne parviens plus à m'envoler.’ Le poème auquel se réfère le poète en passant me semble l'un des poèmes clés de son oeuvre. Il s'agit de Windmolens (Moulins à vent), qui se trouve dans le cycle Lettres du Portugal de l'important recueil qu'est ‘Poèmes II’. Le poème illustre clairement comment un élément anecdotique, une observation puisée directement dans la réalité, comme pour ‘Vision’ ou ‘Cascais’, acquiert une cohérence, est reproduite et devient symbole de la conception du monde et de la vie du poète. Celui-ci n'abandonnera nulle part l'observation. Ce n'est pas un symboliste.
Le poème Windmolens (Moulins à vent) résumant le poète Van Herreweghen, je tiens à m'y arrêter plus longuement. Deux observations servent de point de départ: trois moulins à vent, tels des dragons, et, à côté, un enfant qui a lancé un ‘dragon’, son cerf-volant. Les moulins sur la colline symbolisent les hommes (Don Quichotte est dans les parages). Ils s'efforcent de se détacher, mais ils s'enfoncent dans leur propre poids (cf. ‘Mon âme me pèse comme du plomb dans mes membres’). L'homme n'est pas à même de transcender la réalité terrestre avec sa menace, d'où la ‘lumière se faisant plus noire’. L'enfant, en revanche, peut toujours lancer son cerf-volant. Autrement dit, seul l'enfant ou celui qui est à même de redevenir un enfant peut encore échapper au caractère démoniaque de la terre. En effet, l'enfant a affaire directement au paradis terrestre. Il établit le lien avec l'enfance du poète. Par l'intermédiaire de la mère, il entretient des rapports avec le paradis, auquel il rêve à nouveau et qui, lui aussi, se situe dans l'avenir. Le poète fuit dans le passé (ou dans l'avenir!) vers le monde de l'enfant. C'est, d'autre part, une fuite vers Dieu. Mais ‘ici et maintenant’ aussi, il peut parfois, un instant, devenir un enfant. En témoignent notamment les nombreux instants de bonheur qui jalonnent toute l'oeuvre et sur lesquels, souvent, se terminent ses recueils. Comme le cerfvolant de l'enfant, l'âme veut s'élever dans les airs, mais elle se trouve ‘en un pays loin de chez elle / où errent des animaux préhistoriques’. En d'autres mots, elle est
menacée par la nature primitive exprimée à travers ces symboles animaux, les horreurs et le caractère démoniaque de la nature où, de par son âme, l'homme n'a plus sa place. Dans l'impressionnant poème Avond (Soir), dans le même recueil, le poète évoque une sorte de terrible amour de la terre, de cette nature, par le truchement de l'image de la ‘truie’. Déjà auparavant, notamment dans les ‘Chansons de l'amour et de la mort’, le poète a évoqué ce côté nocturne et démoniaque de la nature. Je ne crois pas qu'il soit exagéré de dire qu'en l'occurrence, le terme de ‘nature’ évoque aussi la nature humaine dans son aspect corporel. L'âme a, ‘désespérée, des ailes en forme de croix’. Le signe de la croix (chez les moulins aussi) constitue le rite d'exorcisme contre le caractère démoniaque de la nature. La foi du poète est chargée de désespoir et d'impuissance du fait qu'il n'est pas à même de surmonter les horreurs de
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la nature et de la dualité de sa propre nature. Dans nombre de poèmes, d'autre part, la vie semble être une aspiration unique vers Dieu et la mort est un envol de l'âme vers Dieu. Telle est la première signification de ‘l'automne’ dans ce poème. A mon avis, il n'est pas vain de penser, cependant, que dans la quatrième strophe, où la mort n'est pas présente nommément, il est question d'un moment d'éternité, c'est-à-dire de plénitude sereine de la vie, et de la prise de conscience du fait qu'un instant, l'aspect démoniaque de la nature est vaincu. C'est pourquoi ‘les animaux se sont terrés au fond de leurs repaires’. Ailleurs dans l'oeuvre de Hubert van Herreweghen, la mort est toujours une horreur du fait qu'il s'agit toujours d'un ‘coup de dés’ ouvrant le chemin vers le ciel ou vers l'enfer. Ou, comme il l'exprimait jadis: ‘Il n'y a qu'une seule alternative: serai-je sauvé ou non?’ A mon sens, le reste du poème fait une allusion à l'enfance qui est considérée en même temps de manière visionnaire dans le rêve. Comme dans bon nombre de poèmes de Van Herreweghen, ce rêve est projeté à la fois dans le passé et dans le futur. Regardant ‘l'enfant sombre, heureux’ qu'il a été (et qu'il peut redevenir un instant, avec éblouissement et frayeur à la fois), l'homme peut prendre son envol non pas vers le passé, mais, détaché de la terre dans ‘l'air d'or’, vers ‘le pur repos’, c'est-à-dire un état de bonheur momentané hors du temps.
Ce ‘pur repos’, cette vision de la perfection, le poète l'exprime éminemment dans le poème final du recueil ‘Poèmes II’, qui s'intitule Zuivere rust en niets begeren (Pur repos et sans désir aucun). C'est le couronnement de l'envol de l'âme, après les tourments, après les tentations de l'oubli, après le désespoir que provoque l'impossibilité du sauvetage. Comme en d'autres poèmes exprimant la même conception visionnaire, la vision de la terre y est devenue sensible. Après les ‘marées de tempête et de malheur’, le poète contemple la plaine sous lui et tout lui paraît bon. Toutefois, le doute s'installe de nouveau (‘puis c'est comme si...’) parce qu'en fin de compte, la position élevée où se trouve le poète n'est pas fixée définitivement Bientôt, il lui faudra de nouveau descendre de son mont ‘Ararat’ ou, me semble-t-il, de la crête des collines brabançonnes. Les moments d'unité dont est parsemée toute l'oeuvre du poète sont plutôt des immages de rêve et des visions qu'une réalité. Plus exactement, leur réalité est très éphémère. La vision statique et paradisiaque d'une nouvelle terre et d'un nouveau ciel telle que la vit Van Herreweghen - il l'appellera une ‘perspective paulinienne’ dans Kinderen van licht en donker (Enfants de la lumière et de l'obscurité, dans ‘Poèmes III’) - semble, elle aussi, désaxée par le temps.
Pour le poète, il est impossible de sortir du dualisme de la culpabilité et du désir de rédemption, de la nature et de la ‘surnature’, du ciel et de la terre, de la vie invivable et de la situation paradisiaque; de l'arrêt du temps, c'est-à-dire le paradis perdu, le giron maternel, la jeunesse, mais aussi du paradis futur auprès de la mère décédée et des moments de bonheur. Il va de soi qu'étant donné sa nature statique et traditionnelle et sa manière de vivre le temps, le poète connaîtra à peine quelque évolution au niveau des idées. Son début, ‘L'année du souvenir’, était un ‘memento mori’, une fréquentation de la mort pendant quatre saisons. Ultérieurement, dans le recueil le plus réussi du point de vue technique, ‘Poèmes III’, cette idée de base revient constamment dans le cycle Mercredi des cendres. Le thème de la mort, les notions de péché et de culpabilité demeureront essentielles pour l'oeuvre de ce poète. Il se distinguait de ses contemporains par
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le vers et la syntaxe tout à fait personnels. Désarticulant d'emblée le rythme, il écrivait un vers à l'accent rythmique germanique. Ce vers ainsi que la syntaxe éminemment personnelle constituent certes une importante caractéristique de la poésie de Van Herreweghen. Son deuxième recueil, ‘L'amant et la femme’, est un poème dialogué. Grâce à l'être aimé, l'amant l'emporte sur le romantique qui part à la recherche de souvenirs de l'oubli, et de la mort. Dualisme une fois de plus: la vie à la fois le ‘dégoûte’ et le ‘passionne’. L'attitude résignée romantique devant la vie ne change pas; elle sera une constante dans les oeuvres de jeunesse de Van Herreweghen. Dans ‘Chansons de l'amour et de la mort’, il s'efforce d'aboutir à une synthèse de ses deux grands thèmes et d'identifier ceux-ci l'un à l'autre à travers le vers de Ronsard: ‘Car l'Amour et la Mort n'est qu'une même chose’, qui lui sert d'épigraphe. Dans les chansons gaies au rythme primesautier, il s'efforce de relativiser ces problèmes. Il ressort du prologue Het gedicht (Le poème) que pour Van Herreweghen, la parole est le succédané d'une réalité (paradisiaque) qui, une fois de plus, est décrite sous la forme d'un paysage. La langue en tant que pont jeté vers le paradis ici et maintenant est plus imparfaite que le rêve (commémoratif) autour de la jeunesse et incontestablement plus imparfaite que l'amour. Dans l'optique de Van Herreweghen, la vie est un sort, même un fatum: ‘angoisse et crainte’. Les hommes sont ‘aveugles devant le temps et l'éternité’ (Drieëenheid -
Trinité - dans ‘Poèmes’). Il est acceptable que l'on cherche à échapper à un pareil destin, d'où l'évasion, l'image des oiseaux migrateurs, qui était présente dans des recueils antérieurs. Toutefois, l'amour rend superflu ce désir d'évasion. En fin de compte, le poète n'entrevoit de solution que dans la ‘simplicité’, dans ce qu'il appelle même le ‘bonheur’. Pour ce qui concerne le problème de la mort, l'amour constitue une brève interruption, ainsi qu'une expérience concrète du paradis et du bonheur. Comme le plus souvent chez Van Herreweghen, le recueil se termine par un moment de bonheur concret, une sorte de vision: Geluk (Bonheur).
A partir de 1953, tous les recueils de Van Herreweghen ont pour titre ‘Poèmes’. Celui de 1953 est sûrement le recueil le plus dualiste, le plus chaotique et le plus exalté qu'il ait écrit. D'une part, il y a les sentiments de culpabilité presque morbides; d'autre part, nous y trouvons de délirantes évocations du paradis. Il semble impossible de parvenir à un équilibre entre les deux. Le poète élargit le dualisme de la mort et de l'amour au point qu'il aboutit à un dualisme de la culpabilité (menace et mort de l'âme) et du salut (la tranquillité grâce à l'arrêt du temps et le salut de l'âme grâce à l'amour divin). Le problème de la mort demeure irrévocablement présent et donne lieu à des poèmes impressionnants tels que ceux du cycle Le Lit. Dans ‘Poèmes II’, le poète ne met pas tant l'accent sur l'imperfection de l'acte d'écrire que sur le dualisme du bien et du mal au niveau de la langue. Les mots sont à la fois angéliques et diaboliques. Le poème est dès lors un rite d'exorcisme, mais le poète réussit et échoue en même temps: tout en s'efforçant d'exorciser l'aspect démoniaque, il le provoque. Ce recueil qui, à mon sens, constitue le chef-d'oeuvre de Van Herreweghen, est sous-tendu par un séjour de vacances au Portugal. Le sous-titre ‘Lettres du Portugal’ est trompeur: le poète n'expédie pas d'informations du Portugal ou sur celui-ci, mais il nous communique les sentiments qu'il y ressent. Les lieux lui servent d'alibi pour y accrocher ses propres problèmes. C'est sa façon de toujours insérer dans son oeuvre des éléments autobiographiques. Pour ce qui est du rythme et
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de l'atmosphère, les poèmes s'apparentent au fado portugais: ce sont des complaintes pleines d'accents mélancoliques. Toutefois, il n'est pas question de résignation, mais d'une ‘plainte passionnée surgissant de la misère’, qui s'exprime de manière convaincante dans le cycle intitulé Amalia Rodriguez, la plus célèbre des chanteuses de fado du Portugal. Révolte aussi: Van Herreweghen est un révolté métaphysique qui refuse l'autohumiliation et revendique, comme par défi, la miséricorde de Dieu. Sa fureur et sa passion s'attaquent aux ‘coulpes’ et à la mort. La plainte initialement personnelle, individuelle, s'élargit jusqu'à devenir une plainte de toute la création. Non pas une plainte proférée contre Dieu ou contre les dieux, comme c'est le cas chez Camus, mais un refus de tout mal. A cette plainte fait contre-poids le désir et souvent aussi la vision d'une innocence corporelle adamique. ‘Poèmes II’ est l'un des recueils les plus importants de la poésie flamande et néerlandaise d'après la seconde guerre mondiale. Les deux poèmes Meeuwen (Mouettes) constituent l'un des sommets du recueil; et c'est vrai aussi du point de vue technique. C'est ainsi qu'on y trouve le rythme caractéristique qui rappelle l'important poète flamand que fut Guido Gezelle (1830-1899). Dans le cycle Mercredi des cendres, il convient de souligner l'utilisation systématique de la ‘rime tierce’, ce qui est une forme de vers plutôt exceptionnelle dans la littérature néerlandaise. Plus que dans les recueils antérieurs, le poète aspire à exprimer une appréciation
positive de la vie et à écrire des vers pour ainsi dire pour son plaisir. Dans Mercredi des cendres nous frappe aussi le panégyrique de toutes les beautés terrestres, d'une part, et, d'autre part, la complainte de l'homme qui doit quitter tout cela, parce que la chair ‘bientôt dépérira’. Le cycle suivant se compose de quatrains, autre forme de vers peu pratiquée dans la poésie flamande. Ils traitent de la poésie, de la mort et du bonheur. Suit une vision de la perfection dans Kerkraam (Vitrail) et Kinderen van licht en donker (Enfants de la lumière et de l'obscurité). Le poète voit la perfection comme une ‘vision paulinienne’ qui englobe tout le cosmos. Bien que ‘la lumière et l'obscurité’ dominent le monde, l'homme a la possibilité visionnaire de voir comment ciel et terre deviennent un ensemble unique d'amour et de clarté. Dans le très beau cycle Petit déjeuner, cette vision est pour ainsi dire transposée dans la réalité quotidienne et familiale. Dans son recueil le plus récent, ‘Poèmes IV’, le poète a maintenu le dualisme, mais le ton s'est fait plus humble. Après 1967, Van Herreweghen a encore publié bon nombre de poèmes dans des revues. Il ne semble pas qu'il se renouvelle encore du point de vue de la forme.
L'apport définitif du poète Van Herreweghen à la poésie néerlandaise sera que dans un rythme et une syntaxe qui lui sont tout à fait spécifiques, il a su exprimer dans un nombre considérable de poèmes réussis un sentiment de la vie tragique, romantique et dualiste. Il lui a fallu attendre l'été de sa vie pour réussir à écrire des vers donnant cours à une véritable joie de vivre. S'il a toujours désiré le faire, l'aspect tragique de la vie l'en avait jusque-là retenu.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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