Queeste. Tijdschrift over middeleeuwse letterkunde in de Nederlanden. Jaargang 2007
(2007)– [tijdschrift] Queeste– Auteursrechtelijk beschermdQuand Hadewijch chante
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sée par les universitaires. Les toutes premières theses consacrées a cet auteur portaient sur elle; elles datent de 1894 (Strasbourg) et 1907 (Leyde). Depuis, bien du chemin a été parcouru; thèses, mémoires, articles et ouvrages divers se sont succédés en mettant l'accent soit sur des aspects formels des poèmes ou leur place dans la tradition poétique de l'époque, soit sur des mots-clés, certains thèmes ou des considérations grammaticales, soit sur leur dimension orale ou bien encore sur quelques-unes de leurs facettes spirituelles.Ga naar voetnoot1 Après avoir donné une traduction des Visions de Hadewijch (1980), ouvrage ayant soulevé bien des discussions, ainsi que diverses publications toujours vivifiantes sur la mystique brabançonne,Ga naar voetnoot2 Herman Vekeman nous invite à son tour à relire les poésies de Hadewijch. Rebaptisant l'ensemble de 45 poèmes - à l'exemple de ce qu'il avait fait pour les Visioenen publiées sous le titre Het visioenenboek van Hadewijch (Le Livre des Visions de Hadewijch) -, il nous offre un ‘Livre des Chants’: Hadewijch - Het boek der liederen en deux volumes. Le premier restitue, après une brève préface en deux volets, l'original moyen-néerlandais avec en regard une traduction en néerlandais contemporain; le second propose, en deux parties thématiques (Telgang en Tijd et Spiritualiteit van het verlangen), une étude de quatre poèmes (successivement les X, XVIII, VI et XXIX). En préliminaire à ce travail, l'auteur nous annonce (I, p. 14) qu'il est convaincu d'avoir trouvé une clé permettant une lecture nouvelle des 45 poèmes, ceci grâce à une double hypothèse: 1) la quête du sens des mots-clés: étant donné que, dans le cercle de Hadewijch, ces textes qui peuvent nous sembler abscons étaient lus et chantés, autrement dit compris, il convient de reconnaître le champ sémantique des mots-clés dans la prose de Hadewijch envisagée comme plus didactique tout en renonçant à chercher à tout prix a cerner l'omniprésent vocable ‘minne’ qui est en fait, avant tout, une expérience sans cesse renouvelée; 2) la pertinence spirituelle de ces mots-clés au jour d'aujourd'hui du fait que ceux-ci, grâce auxquels Hadewijch nous parle de son expérience (‘minne-ervaring’), sont autant d'étalons d'une ‘vision saine et équilibrée de la vie mystique, une vision que l'on rencontre également chez d'autres auteurs mystiques.’ (I, p. 16) On ne peut qu'être d'accord avec l'auteur quand il considère Hadewijch comme notre contemporaine, elle qui vivait sans doute dans la première moitié du XIIIe siècle (II, p. 7 et I, p. 10). Pour mieux illustrer cette idée, H. Vekeman étaye et illustre son interprétation des passages hadewijgiens par le recours à des textes récents (de Dom André Louf, du Père Jean Lafrance ...). La première composante de son hypothese suppose que les Lettres ont été composées et connues avant les Poèmes, puisque dans ceux-ci résonnaient aux oreilles des familiers de Hadewijch des mots qu'ils étaient capables d'appréhender pour les avoir déjà découverts dans les Lettres. H. Vekeman limite donc son champ d'exploration à quatre poèmes et procéde à un choix de termes qu'il va situer plus avant dans le corpus hadewijgien en mentionnant de nombreux passages (essentiellement tirés des Brieven) dans lesquels on les retrouve ainsi que leurs occurrences dans d'autres textes (Bible, homélies de Hugues de Saint-Victor sur le temps, Confessions de saint Augustin ...). Par ce dégrossissage, il évite un écueil majeur que rencontre toute personne désireuse d'écrire un ouvrage significatif sur Hadewijch: dès que l'on retient un mot-clé, un concept, un passage de l'oeuvre, un aspect formel, on a un peu l'impression de tirer sur un fil et que plus rien ne va empêcher l'ensemble de l'oeuvre et des problématiques afférentes de se débobiner. Les poèmes strophiques retenus l'amènent à approfondir le rapport que l'homme entretient avec son inhérente faiblesse et le curieux phénomène qu'est le temps (Lied X et XVIII), puis le désir et enfin l'humilité en particulier à travers la | |
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figure de la Vierge Marie (Lied VI et XXIX). À défaut de pouvoir traiter de la même façon, dans une troisième partie, d'autres thèmes (lust en last, rust en roes, gewond door de liefde) que mettent en valeur les poèmes XXXI, XXXIII, VIII et XLIII, l'auteur se résigne à simplement les évoquer au fil de son exposé. Après un panorama de citations éclairées par quelques commentaires,Ga naar voetnoot3 l'auteur offre une petite synthèse pour chacun des termes-clés qu'il a retenu et procéde, pour finir, à une interprétation du poème strophe par strophe, parfois vers par vers. Ainsi, l'auteur explore, à travers le Lied XXIX, généralement qualifié de ‘marial’ (la dimension mariale de l'ensemble du recueil mériterait une attention particulière), les concepts ‘humilité’ et ‘clarté / lumière’, ce qui lui permet, entre autres, de préciser le rôle, dans la vie spirituelle, de la raison éclairée par la lumière divine. Notons que le Lied VI, qui bénéficie d'une plus large attention que les trois autres, déroge un peu à la présentation générale: précédé d'une assez longue introduction sur la réalité de l'expérience mystique, il est l'occasion pour l'auteur de s'arrêter longuement sur le désir (‘begherte’) avant de proposer une suite de petites synthèses sur ce concept relativement à la plupart des Brieven abordées; les textes utilisés à l'appui de cette démonstration sont repris dans des annexes. Au total, le lecteur se voit offrir des pages extrêmement denses - pleines de remarques, d'éclairages et de rappels souvent pertinents (incompatibilité et rupture de la vision chrétienne avec le temps cyclique; densité de termes aussi simples que nuwe, hooch, natuere; constellation sémantique soulignant l'aspect dynamique, infini et toujours à réentreprendre de la quête mystique; accent mis sur l'expérience de la Passion; douleurs de l'enfantement de Dieu chez l'homme ...) - fruits d'une fréquentation de Hadewijch de plusieurs dizaines d'années, d'une connaissance approfondie des textes bibliques, mais aussi d'une quête personnelle nourrie de prière et de lectures mystiques. C'est que pour entrer plus avant dans l'oeuvre de l'illustre Brabançonne, on ne saurait se passer de ce que Charles Péguy revendiquait pour approcher au plus près Jeanne d'Arc, et ainsi écrire son Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc: les sacrements et la messe dont la nature et la portée ne changent pas, et dont la jeune fille vivait.
Nous laisserons toutefois aux médiévistes, philologues et théologiens le soin de se pencher plus avant sur la richesse et les éventuelles lacunes et imperfections de ce second volume, afin de nous attarder un peu sur le premier qui porte comme sous-titre ‘Tekst en vertaling’ (mention qui devient ‘Tekst en hertaling’ dans la ‘Verantwoording’). Pour ce qui est du texte des Strofische Gedichten, H. Vekeman reprend celui reproduit dans l'édition-traduction de N. De Paepe,Ga naar voetnoot4 autrement dit celui du manuscrit C corrigé ça et là selon les manuscrits A et B. L'auteur précise qu'il a en de très rares endroits modifié la ponctuation de son prédécesseur afin d'éviter une mauvaise lecture de ‘la structure syntaxique et thématique d'une strophe’. On peut à ce sujet se demander s'il ne serait pas possible de publier l'original sans ponctuation moderne: dès qu'on lit le texte à haute voix, celle-ci devient en effet le plus souvent pour ainsi dire superflue; dans son édition des Visions, H. Vekeman avait d'ailleurs choisi de restituer la seule ponctuation des copistes, ce qui semble préférable à l'intrusion d'une logique explicative qui risque d'ôter au texte son oralité.Ga naar voetnoot5 Dans le même ordre d'idées, on aimerait dans les différentes traductions des Strofische Gedichten | |
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quelques explications sur la présence ou l'absence de majuscules en début de chaque vers, l'une et l'autre conférant aux poèmes un rythme graphique et visuel qui peut varier de l'original à la traduction: l'absence de majuscules correspond à une graphie soulignant un peu plus la continuité de ce qui est dit.Ga naar voetnoot6 S'éloignant de l'optique de N. De Paepe, H. Vekeman donne la priorité à une lecture philologique se devant d'être spirituelle et non pas psychologique. Pour conserver ‘la tension poétique’ de l'original, il s'astreint à une rigueur assez éloignée de l'approche ‘inspirée’ retenue vingt-cinq ans plus tôt pour la traduction des Visions. Mais ces deux démarches sont-elles réellement si différentes l'une de l'autre? Dans une recension évoquant d'autres traductions de textes de Hadewijch,Ga naar voetnoot7 nous avons déjà eu l'occasion de souligner que le traducteur de la béguine brabançonne, relativement au langage, reste bien trop souvent prisonnier d'un schéma de pensée traditionnel, celui qui s'en tient à la rhétorique des genres, à celle des formes, qui pense le vers à partir du mètre et qui a tendance à réduire la prose au récit.Ga naar voetnoot8 Certes, cela ne lui est pas propre, mais c'est d'autant plus dommageable dans le cas du corpus hadewijgien que ce dernier constitue, nous semble-t-il, un champ idéal d'application des thèses développées dans de nombreux ouvrages, en particulier Poétique du traduire, par le traducteur, poète et linguiste Henri Meschonnic.Ga naar voetnoot9 Cet auteur dénonce le ‘schéma fondateur du signe (signifiant/signifié), qui étend son modèle binaire sur tout le pensable du langage’ (2005, p. 58) et duquel découle tout le vocabulaire vague, voire inopérant, auquel nous recourons dès qu'il s'agit de qualifier une oeuvre dite poétique. Les travaux récents d'Anikó DarócziGa naar voetnoot10 viennent corroborer cette nécessité de revisiter Hadewijch en renonçant par exemple à la dualité prose/poésie, une opposition plus pertinente pouvant être celle entre le parlé et le chanté, ou encore celle consistant à dégager d'une Lettre ou d'un Poème strophique des unités rythmiques, des ‘versets’ où les blancs - ponctuation sans être signes de ponctuation - permettraient entre autres de mieux saisir le rapport entre le visuel et l'oral. L'unique paragraphe que H. Vekeman consacre en réalité aux poèmes eux-mêmes en tant que faits littéraires (I, p. 13) reprend le discours habituel (énumération de certaines caractéristiques formelles, référence à la virtuosité), situant entre autres le rythme comme une forme distincte du sens. Or, ‘le rythme, loin d'être étranger à la signification des oeuvres, en est la condition première’ (2005, p. 7); par rythme, on entend l'organisation du mouvement de la parole par un sujet, ‘parole’ au sens de Saussure, d'activité individuelle, écrite autant qu'orale (2005, p. 26 et p. 28); il convient de le concevoir ‘dans le langage non plus comme une notion du signe, mais comme un fonctionnement du discours’ (2005, p. 55). Il faut cesser de confondre le rythme avec la métrique: on aimerait que le traducteur de Hadewijch présente en détail sa réflexion sur la question de la notation et de la lecture du | |
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rythme, qu'il évoque sa manière de tenir compte de l'organisation consonantique et vocalique des mots.Ga naar voetnoot11 Il en découle que la résolution de la question du maintien ou non de la rime nécessite à notre sens un exposé plus précis que les brèves allusions faites jusqu'à présent par les différents traducteurs des Strofische Gedichten. De même, il paraît difficile de traduire des poèmes dont on connaît aujourd'hui la strate mélodique sans se référer à celle-ci.Ga naar voetnoot12 Pour ce qui est de l'approche traduisante elle-même, les pages 11 à 14 du premier volume de Het boek der liederen présentent quelques considérations générales. Sans préjuger du résultat, il convient malgré tout de relever que ces quelques paragraphes n'augurent rien de bon quant à la démarche suivie. En écrivant : ‘Les “poèmes” de Hadewijch sont-ils véritablement intraduisibles? Bien évidemment, comme l'est tout bon poème. Mais les “poèmes” de Hadewijch n'en sont pas moins traduisibles car, comme tout bon poème, ce sont des échecs: 45 très bons poèmes, et autant d'échecs. [...] Même s'il va de soi qu'aucune traduction ne remplacera jamais le texte de Hadewijch ...’ (I, p. 12 et p. 13), H. Vekeman adhère de fait à une conception du langage qui ne fait pas droit à toutes les dimensions d'un texte. ‘L'intraduisible n'est pas une donnée empirique, c'est un effet de théorie’. (H.M., 1999, p. 79) Dire que tout poème est un échec, c'est se placer à un point de vue peut-être pertinent pour ce qui relève du domaine de la mystique, mais non pas du point de vue qui nous intéresse en tant que traducteur d'un poème.Ga naar voetnoot13 Cette vision obsolète - chercher à restituer le sens, l'énoncé - se trouve confirmée par l'affirmation qu'une traduction n'est jamais qu'une interprétation, point de vue que H. Vekeman adopte à la suite de N. De Paepe (I, p. 13) et en fait à la suite d'une multitude de traducteurs. Or, quand on cherche à traduire non le sens mais la signifiance - comprise comme ‘une rythmique et une proso- | |
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die par lesquelles passe tout ce qui fait sens, et qui déborde la circonscription traditionnelle du sens, ses niveaux linguistiques’ (H.M., 1999, p. 319) -, non l'énoncé mais l'énonciation, non la langue mais le discours, l'expérience révèle que traduire, ce n'est pas interpréter: ‘Car, si traduire doit être autant qu'écrire, le poème résultant doit être le porteur des interprétations, et non porté par elles. Le poème se fait dans des signifiants. Sa traduction ne doit pas se faire dans des signifiés.’ (1999, p. 310)Ga naar voetnoot14 S'il ne s'agit en aucune façon de se ranger à toutes les thèses développées par H. Meschonnic, lequel vise à étendre, parfois par d'étranges raccourcis et par une totale méconnaissance de toute transcendance, sa vision du langage à la sphère du politique,Ga naar voetnoot15 il n'en demeure pas moins qu'on ne peut continuer de manier concepts et vocables relatifs à la poésie (prosodie, rythme, métrique, cadence, allitération, rime ...) sans tenir compte de ce que cet auteur avance à propos du langage en général et du rythme et de la prosodie en particulier pour la simple raison qu'il est, à notre connaissance, l'un des rares, si ce n'est le seul théoricien-praticien de la traduction à proposer sur ces questions un cadre et des éléments permettant au traducteur d'appréhender de la meilleure façon les Brieven, les Visioenen, les Strofische Gedichten ou encore les Mengeldichten en tant que discours toujours actuel d'un sujet particulier ayant vécu au XIIIe siècle.
Les Strofische Gedichten sont des poèmes qui ont été composés pour transformer ceux qui les entend(ai)ent, les chant(ai)ent, les dis(ai)ent, les psalmod(iai)ent, les médit(ai)ent; ils sont une nourriture qui a vocation à agir sur des personnes qui n'appartiennent plus aux vreemden (ceux qui sont séparés de Dieu), ceci grâce à l'adéquation parfaite, virtuose, entre ce qui est dit et la façon dont c'est dit, l'endroit aussi où chaque chose est dite dans chaque poème, entre ce qui est dit et la composante mélodique et musicale. Chaque poème n'est pas un échec, c'est un inaccompli qui attend sans cesse un nouvel oeil, une nouvelle voix, une nouvelle oreille. H. Vekeman a raison de souligner (par exemple II, p. 337) qu'une lecture spirituelle des Liederen permet de dévoiler des facettes et des dimensions que la seule philologie ne permet pas de révéler; il nous semble que la démarche traduisante que nous proposons peut permettre d'encore avancer dans ce dévoilement.
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